vie plate et
vulgaire, de vouloir s'en echapper a tout prix, et de se raconter a
elle-meme de merveilleuses histoires, comme celles qui prenaient tant de
place autrefois dans sa vie d'enfant et qui finissaient par lui faire
une existence revee presque aussi importante, dix fois plus precieuse
et plus chere que l'autre. C'est dans un de ces jours ou, comme
Scheherazade dans _les Mille et une Nuits_, mais pour satisfaire a son
caprice d'imagination et non pas a celui d'un sultan feroce, elle
s'amusait elle-meme et s'enchantait de ces recits, qu'elle concut l'idee
de cette journee unique, et qu'une fois concue comme a travers un songe,
elle la jeta sur le papier, dans sa vivacite et sa fraicheur intactes, a
peine entamees par le travail presque insensible de la composition.
Certes il y a bien de quoi crier a l'invraisemblance quand on voit
s'organiser, au hasard des evenements, cette jolie caravane de voyage,
dans la villa de Sabina, au lever du soleil. Leonce conjure Sabina de se
laisser emmener ou il voudra, sans rien lui designer d'avance, a travers
les paysages les plus varies, aussi loin qu'on pourra aller dans une
seule journee. Il a touche la corde magique, l'inconnu; la fantaisie
enleve les dernieres resistances; Leonce va devenir l'arbitre de cette
journee. On part a deux, avec la negresse de Sabina et le jockey sur le
siege. Et bientot les rencontres commencent: on enleve un bon cure qui
marchait gravement sur la route, son breviaire a la main; un peu plus
loin, une ravissante petite paysanne errante, qui a pour specialite
d'apprivoiser les oiseaux et qu'on annexe a la caravane; plus loin
enfin, a travers mille aventures, le heros du roman, le plus singulier
et le plus merveilleux des heros, un voyageur que Leonce rencontre se
baignant dans un lac, bien different dans sa noble nudite de ce qu'il
paraissait etre, un instant auparavant, sous ses haillons sordides.
Leonce fait de lui un homme comme il faut en lui jetant des habits
convenables. Touchant apologue qui nous fait voir qu'il n'y a bien
souvent qu'une question de vetements entre les hommes, surtout dans les
romans de Mme Sand! C'est une idee chere a l'auteur, et qu'elle
reprendra souvent, jamais avec autant de bonheur et de grace. Teverino
s'est revele a Leonce avec sa distinction naturelle; c'est le plus beau
des mortels et le plus eloquent des artistes. Des lors il va prendre sa
place, qui sera la premiere, dans cette journee romantique; il marque en
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