i-meme au son de son
flageolet; comment elle avait conseille a Marie Ivanovna de
m'ecrire une lettre, etc. De mon cote, je lui racontai en peu de
mots mon histoire. Le pope et sa femme firent des signes de croix
quand ils entendirent que Pougatcheff savait qu'ils l'avaient
trompe.
"Que la puissance de la croix soit avec nous! disait Akoulina
Pamphilovna; que Dieu detourne ce nuage! Bien, Alexei Ivanitch!
bien, fin renard!"
En ce moment, la porte s'ouvrit, et Marie Ivanovna parut, avec un
sourire sur son pale visage. Elle avait quitte son vetement de
paysanne, et venait habillee comme de coutume, avec simplicite et
bienseance.
Je saisis sa main, et ne pus pendant longtemps prononcer une seule
parole. Nous gardions tous deux le silence par plenitude de coeur.
Nos hotes sentirent que nous avions autre chose a faire qu'a
causer avec eux; ils nous quitterent. Nous restames seuls. Marie
me raconta tout ce qui lui etait arrive depuis la prise de la
forteresse, me depeignit toute l'horreur de sa situation, tous les
tourments que lui avait fait souffrir l'infame Chvabrine. Nous
rappelames notre heureux passe, en versant tous deux des larmes.
Enfin je ne pouvais lui communiquer mes projets. Il lui etait
impossible de demeurer dans une forteresse soumise a Pougatcheff
et commandee par Chvabrine. Je ne pouvais pas non plus penser a me
refugier avec elle dans Orenbourg, qui souffrait en ce moment
toutes les calamites d'un siege. Marie n'avait plus un seul parent
dans le monde, je lui proposai donc de se rendre a la maison de
campagne de mes parents. Elle fut toute surprise d'une telle
proposition. La mauvaise disposition qu'avait montree mon pere a
son egard lui faisait peur. Je la tranquillisai. Je savais que mon
pere tiendrait a devoir et a honneur de recevoir chez lui la fille
d'un veteran mort pour sa patrie.
"Chere Marie, lui dis-je enfin, je te regarde comme ma femme. Ces
evenements etranges nous ont reunis irrevocablement. Rien au monde
ne saurait plus nous separer."
Marie Ivanovna m'ecoutait dans un silence digne, sans feinte
timidite, sans minauderies deplacees. Elle sentait, aussi bien que
moi, que sa destinee etait irrevocablement liee a la mienne; mais
elle repeta qu'elle ne serait ma femme que de l'aveu de mes
parents. Je ne trouvai rien a repliquer. Mon projet devint notre
commune resolution.
Une heure apres, l'_ouriadnik_ m'apporta mon sauf-conduit avec le
griffonnage qui servait de signature a Pougat
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