que jour le creer. Voila la double verite sur quoi sont batis
ces ouvrages. Le culte du Moi n'est pas de s'accepter tout entier. Cette
ethique, ou nous avons mis notre ardente et notre unique complaisance,
reclame de ses servants un constant effort. C'est une culture qui se
fait par elaguements et par accroissements: nous avons d'abord a epurer
notre Moi de toutes les parcelles etrangeres que la vie continuellement
y introduit, et puis a lui ajouter. Quoi donc? Tout ce qui lui est
identique, assimilable; parlons net: tout ce qui se colle a lui quand il
se livre sans reaction aux forces de son instinct.
"Moi, disait Proudhon, se souvenant de son enfance, c'etait tout ce que
je pouvais toucher de la main, atteindre du regard et qui m'etait bon a
quelque chose; non-moi etait tout ce qui pouvait nuire ou resister a
moi." Pour tout etre passionne qu'emporte son jeune instinct, c'est bien
avec cette simplicite que le monde se dessine. Proudhon, petit
villageois qui se roulait dans les herbages de Bourgogne, ne jouissait
pas plus du soleil et du bon air que nous n'avons joui de Balzac et de
Fichte dans nos chambres etroites, ouvertes sur le grand Paris, nous
autres jeunes bourgeois palis, affames de tous les bonheurs. Appliquez
a l'aspect spirituel des choses ce qu'il dit de l'ordre physique, vous
avez l'etat de Philippe dans _Sous l'oeil des Barbares_. Les Barbares,
voila le non-moi, c'est-a-dire tout ce qui peut nuire ou resister au
Moi.
Cette definition, qui s'illuminera dans _l'Homme libre_ et _le Jardin de
Berenice_, est bien trouble encore au cours de ce premier volume. C'est
que la naissance de notre Moi, comme toutes les questions d'origine, se
derobe a notre clairvoyance; et le souvenir confus que nous en
conservons ne pouvait s'exprimer que dans la forme ambigue du symbole.
Ces premiers chapitres des "Barbares", le _Bonhomme Systeme_, education
desolee qu'avant toute experience nous recumes de nos maitres,
_Premieres Tendresses_, qui ne sont qu'un baiser sur un miroir, puis
_Athene_, assaillie dans une facon de tour d'ivoire par les Barbares,
sont la description sincere des couches profondes de ma sensibilite....
Attendez! voici qu'a Milan, devant le sourire du Vinci, le Moi fait sa
haute education; voici que les Barbares, vus avec une plus large
comprehension, deviennent l'adversaire, celui qui contredit, qui divise.
Ce sera _l'Homme libre_, ce sera _Berenice_. Quant a ce premier volume,
je le repete, point de de
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