craignis point que ma faiblesse, de femme et de
vierge, alanguit ton genie. Et maintenant, mere, puisqu'il te plait de
me delivrer, enseigne-moi l'antique secret de mourir avec simplicite."
* * * * *
Puis s'adressant aux statues d'Homere et de Platon:
--Un jour, dit-elle, que je revais a vos cotes, j'appris de mon coeur
qu'une belle pensee est preferable meme a une belle action. Et pourtant
je dois me contenter de bien mourir. Le corps est beau, mais il vaut
mieux qu'il souffre que l'esprit; et m'exiler de vous ne serait-ce pas
chagriner a jamais mon ame?
"Ma mort toutefois n'offensera point votre serenite, et mon sang pali
lavera les parvis de votre demeure."
* * * * *
Elle se pencha encore vers les cours interieures. Ca et la, des pigeons
y sautillaient de grains en grains. Reveuse, elle demeura un instant a
regarder les plantes, les betes, la vie qu'elle avait toujours
dedaignee, et cette derniere seconde lui parut delicieuse.
* * * * *
Cependant elle couvrit son noble visage d'un long voile, puis elle
apparut aux regards de la foule sur les hauts escaliers. Le flot d'abord
s'entrouvrit devant elle, car sa demarche etait d'une deesse, et nul ne
voyait ses levres palies. Mais ses forces faillirent a son courage, elle
s'evanouit sur les dalles.--Alors, comme les machoires d'une bete fauve,
la foule se referma, et les membres de la vierge furent disperses,
tandis que, impassibles sous leurs casques et sous leurs aigles, les
Barbares ricanaient de cet assassinat, eclaboussant la majeste de
l'empire et le linceul du monde antique.
* * * * *
Au soir, tandis qu'Alexandrie ayant trahi les siecles anciens se tordait
dans l'epouvante et le delire avec les cris d'une agonisante et d'une
femme qui enfante, Amaryllis et Lucius rechercherent les restes divins
de la vierge du Serapis.
* * * * *
Ainsi mourut pour ses illusions, sous l'oeil des Barbares, par le baton
des fanatiques, la derniere des Hellenes; et seuls, une courtisane et un
debauche frivole, honorerent ses derniers instants. Mais que t'importe,
o vierge immortelle, ces defaillances passageres des hommes! ton destin
melancolique et ta piete traverserent les siecles douloureux, et les
petits-fils de ceux-la qui ricanaient a ton martyre s'agenouillent
devant ton apotheose, et, rougissant de le
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