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Mais le pretexte de notre moi, sa chair, si lasse que son reve fuyait a
travers elle pour communier au reve de tous, se souvint pourtant des
souillures de la femme et rentra par des frissons dans la realite
familiere. Il ne pouvait chasser de lui cette femme fugitive. Lui-meme
tenait trop de place en soi pour qu'y put entrer l'Absolu.
Est-il parmi le troupeau des contradictions qui l'entourent, le mot qui
fera sa vie une?
Les plus absorbantes douceurs qu'il eut connues ne venaient-elles pas de
l'amour? Or, son amour, il l'avait fait lui-meme et de sa substance: il
aimait de cette facon, parce qu'il etait lui, et tous les caracteres de
sa tendresse venaient de lui, non de l'objet ou il la dispensait.
Des lors pourquoi s'en tenir a cette femme dont il souffrait parce
qu'elle etait changeante? Ne peut-il la remplacer, et d'apres cette
creature bornee qui n'avait pas su porter les illusions brillantes dont
il la vetait, se creer une image feminine, fine et douce, et qui
tressaillerait en lui, et qui serait lui.
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C'est ainsi qu'il vecut desormais parmi la sterile melopee de tous ces
sages, extasie en face la bien-aimee, aussi belle, mais plus reveuse que
son infidele. Elle avait, sous les cils tres longs, l'eclatante
tendresse de ses prunelles, et sa bouche imposait dans l'ovale de sa
figure parfois voilee de cheveux. Il reposait ses yeux dans les yeux de
son amante, et quand, semblable aux vierges impossibles, elle baissait
ses paupieres bleuatres, il voyait encore leur douce flamme
transparaitre.
Il s'agenouilla devant cette dame benie et jamais extase ne fut plus
affaissee que les murmures de cet amour.
De son ame, comme d'un encensoir la fumee, s'echappait le corps diaphane
et presque nu de l'amante, si delicate avec ses hanches exquises, son
etroite poitrine aigue et sur ses joues l'ombre des cils. Frele
apparition! dans ce nimbe de vapeurs legeres, elle semblait un chant
tres bas, la monotone litanie des perfections des amours vaines, l'odeur
attenuee d'une fleur lointaine, le soupir de douleur legere qui se
dissipe en haleine.
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"O mon ame, enseignez-moi si je souffre ou si je crois souffrir, car
apres tant de reves je ne puis le savoir. Suis-je ne ou me suis-je cree?
Ah! ces incertitudes qui flottent devant l'oeil pour avoir trop fixe!
J'ose dedaigner la vie et ses apparences qu'elle deroule aupres de me
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