t Moutier? ou est-il? c'est lui qui a
tout fait. Moutier! Moutier! Ah! il croit que, parce qu'il m'a fait
prisonnier, il peut me mener comme un enfant! Il se figure que, parce
qu'il m'a sauve deux fois, car il m'a sauve deux fois, Monsieur, au
peril de sa vie, et je l'aime comme mon fils! et je l'adopterais s'il
voulait. Oui, je l'adopterai! Qu'est-ce qui m'en empecherait? Je n'ai ni
femme ni enfant, ni frere ni soeur. Et je l'adopterai si je veux. Et je
le ferai comte Dourakine, et Elfy sera comtesse Dourakine. Et il n'y a
pas a rire, Monsieur; je suis maitre de ma fortune; j'ai six cent mille
roubles de revenu, et je veux les donner a mon sauveur. Moutier, venez
vite, mon ami."
Moutier entra, l'air un peu penaud: il s'attendait a etre gronde.
LE GENERAL.--Viens, mon ami, viens, mon enfant; oui, tu es mon fils,
Elfy est ma fille; je vous adopte; je vous fais comte et comtesse
Dourakine, et je vous donne six cent mille roubles de rente.
Elfy etait entree en entendant appeler Moutier; elle s'appretait a le
defendre contre la colere du general. A cette proposition si ridicule et
si imprevue, elle eclata de rire, et, saluant profondement Moutier:
"Monsieur le comte Dourakine, j'ai bien l'honneur de vous saluer.
Puis, courant au general, elle lui prit les mains, les baisa
affectueusement.
"Mon bon general, c'est une plaisanterie; c'est impossible! c'est
ridicule! Voyez la belle figure que nous ferions dans un beau salon,
Moutier et moi."
Le general regarda Moutier qui riait, le juge d'instruction qui
etouffait d'envie de rire, Elfy qui eclatait en rires joyeux, et il
comprit que sa proposition etait impossible.
"C'est vrai! c'est vrai! Il m'arrive sans cesse de dire des sottises.
Mettez que je n'ai rien dit."
MOUTIER.--Ce que vous avez dit, mon general, prouve votre bonte et
votre bon vouloir a mon egard, et je vous en suis bien sincerement
reconnaissant.
Le juge d'instruction salua le general et s'en alla riant et marmottant:
"Drole d'original!"
XIII
Le depart.
Lorsque Moutier fut de retour, Elfy lui reparla du depart pour les eaux.
"J'ai reflechi, dit-elle, et je crois que le plus tot sera le mieux,
puisqu'il faut que ce soit."
MOUTIER.--Vous savez, Elfy, que le general s'est mis a votre disposition
et que c'est a vous a fixer le jour.
ELFY.--Et que diriez-vous si je disais comme le general, demain?
MOUTIER.--Je dirais: "Mon commandant, vous avez raison"; et je
partirais.
ELFY.
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