nulle part.
TORCHONNET.--Je n'ai pas besoin de me placer.
LE CURE.--Toi, plus qu'un autre, mon enfant, parque tu n'as pas de
parents pour te venir en aide.
TORCHONNET.--Bah! bah! Je sais ce que je sais.
LE CURE.--Et que sais-tu, mon enfant, que je ne sache pas?
TORCHONNET.--Oh! vous le savez bien aussi; seulement vous faites
semblant de ne pas savoir.
LE CURE.--Je t'assure que je ne comprends pas ou tu veux en venir.
TORCHONNET.--J'en veux venir a vous dire que vous n'etes pas mon maitre,
que le general voulait me donner tout son argent et me faire son fils,
que c'est vous qui l'en avez empeche, et que je veux, moi, etre riche et
devenir un beau monsieur.
Le bon cure, stupefait de la hardiesse et des reproches de ce garcon
qui, trois jours auparavant, tremblait devant tout le monde, resta muet,
le regardant avec surprise.
TORCHONNET.--Vous faites semblant de ne pas comprendre! Vous croyez que
je n'ai pas entendu ce que vous a dit le general et comment vous avez
refuse de me donner, comme si j'etais a vous. Le general m'aime, et il
me prendra a son retour, et vous verrez alors ce que je ferai.
--Pauvre, pauvre enfant, dit le cure les larmes dans les yeux et la voix
tremblante d'emotion. Pauvre petit! Tu fais le mal sans le savoir;
personne ne t'a appris ce qui est mal et ce qui est bien!... Tu crois,
mon.. enfant, que le general t'aurait emmene? que c'est moi qui l'en ai
empeche? Je sais que je n'ai pas le droit de te retenir malgre toi; que
tu peux t'en aller tout de suite si tu le veux. Mais ou iras-tu? Que
feras-tu? Qui te nourrira et te logera? Ce que je fais pour toi, je le
fais par charite, pour l'amour de Dieu, pour te venir en aide, a toi
pauvre petite creature du bon Dieu. Le general a eu l'idee de te
prendre; elle lui a passe de suite, il en a ri lui-meme.
TORCHONNET.--Comment le savez-vous, puisqu'il n'est pas revenu vous
voir?
LE CURE.--Il m'a envoye Moutier pour me le faire savoir. Je te pardonne
ce que tu viens de dire, mon ami, et je ne t'en offre pas moins un asile
chez moi tant que tu ne trouveras pas mieux. Mettons nous a table et
dinons, sans songer a ce qui s'est passe entre nous. Le bon cure passa
dans la salle ou l'attendaient son diner et sa servante; Torchonnet, un
peu honteux, demi-repentant et indecis, se mit a table et mangea comme
s'il n'avait rien qui le troublat. Il n'en fut pas de meme du cure qui
etait triste et qui reflechissait sur les moyens de ramener Torchonn
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