omber mort de besoin.
--Pourquoi les petits pleurent-ils?
--Parce qu'ils ont bon coeur, ces enfants! N'est-il pas terrible de voir
un homme mourir de besoin a votre porte?
--Voyez donc ce gros, comme il se demene! Il va tous les ecraser s'il
tombe dessus.
--C'est le monsieur que les Bournier ont assassine.
--Comment donc qu'il a fait pour en revenir?
--C'est parce que le grand zouave l'a mene aux eaux; ca l'a tout remonte.
--Tiens! quand ma femme sera morte, pas de danger que je la porte la-bas.
Derigny ne reprenait pas connaissance, malgre les moyens energiques du
general; des claques dans les mains a lui briser les doigts, de la fumee
de tabac a suffoquer un ours, de l'eau sur la tete a noyer un enfant,
rien n'y faisait; la secousse avait ete trop forte, trop imprevue.
Moutier commencait a s'inquieter de ce long evanouissement; il se
relevait pour aller chercher le cure, lorsqu'il le vit fendre la foule
et arriver precipitamment a Derigny.
LE CURE.--Qu'y a-t-il? un homme mort, me dit-on! Pourquoi ne m'a-t-on
pas prevenu plus tot?
MOUTIER.--Pas mort, mais evanoui, monsieur le cure; il vient de tomber
par suite d'une joie qui l'a saisi. Le cure s'agenouilla pres de,
Derigny, lui tata le pouls, ecouta sa respiration, les battements de
son coeur et se releva avec un sourire.
"Ce ne sera rien, dit-il; otez-le d'ici, couchez-le sur un lit bien a
plat, bassinez le front, les tempes avec du vinaigre, et faites-lui
avaler un peu de cafe."
Apres avoir donne encore quelques avis, le cure, se voyant inutile,
retourna chez lui.
JACQUES.--Mon bon ami Moutier, laissez-moi embrasser mon pauvre papa
avant qu'il soit mort tout a fait, je vous en prie, je vous en supplie;
tante Elfy ne veut pas. Moutier tourna la tete et vit le pauvre Jacques
a demi agenouille, les mains jointes, le regard suppliant, le visage
baigne de larmes.
MOUTIER.--Viens, mon pauvre enfant, embrasse ton papa et ne t'effraye
pas; il n'est pas mort, et dans quelques instants il t'embrassera
lui-meme et te serrera dans ses bras.
Jacques remercia du regard son ami Moutier et se jeta sur son pere
qu'il embrassa a plusieurs reprises. Derigny, au contact de son enfant,
commenca a reprendre connaissance; il ouvrit les yeux, apercut Jacques
et fit un effort pour se relever et le serrer contre son coeur. Moutier
le soutint, et l'heureux pere put a son aise couvrir de baisers ses
enfants perdus et tant regrettes.
Apres les premiers moment
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