tez pas de votre coucher;
c'est moi qui loge."
--Mais, general, lui dit tout bas Mme Blidot, nous n'avons pas de place.
--Ta, ta, ta, j'aurai de la place, moi; c'est moi qui loge, ce n'est pas
vous. Soyez tranquille, ne vous inquietez de rien; nous ne derangerons
rien chez vous.
Le notaire salua et partit. Le general se frottait les mains comme
d'habitude et souriait d'un air malin. Il s'approcha d'une fenetre
donnant sur le jardin.
"C'est joli ces pres qui bordent votre jardin! Et le petit bois qui est
a droite, et la riviere qui coule au milieu. Ce serait bien commode
d'avoir tout cela. Quel dommage que ce ne soit pas a vendre!"
Mme Blidot et Elfy ne repondirent pas. C'etait a vendre; le malin
general le savait bien depuis une heure; il savait aussi que les soeurs
n'avaient pas les fonds necessaires pour l'acheter. Il eut fallu avoir
vingt-cinq mille francs; et elles n'en avaient que trois mille.
"C'est dommage, repeta le general. Quel joli petit bien cela vous
ferait! Et, si un etranger l'achete, il peut batir au bout de votre
jardin, vous empecher d'avoir de l'eau a la riviere, vous ennuyer de
mille manieres. N'est-ce pas vrai ce que je dis, Moutier?
MOUTIER.--Tres vrai, mon general; aussi je ne dis pas que n'ayons fort
envie d'en faire l'acquisition. Et, si Elfy y consent, les vingt mille
francs que je tiens de votre bonte, mon general, pourront servir a en
payer une grande partie; mais nous attendrons que le bien soit a vendre.
Le general sourit malicieusement; il avait tout prevu, tout arrange. Le
notaire avait ordre de repondre, en cas de demande, que le tout etait
vendu. A partir de ce jour, le general prit des allures mysterieuses qui
surprirent beaucoup Moutier, Derigny et les deux soeurs. Il envoya a
Domfront louer un cabriolet attele d'un cheval vigoureux; il y montait
tous les jours apres dejeuner et ne revenait que le soir. Habituellement
il partait seul avec le conducteur; quelquefois il emmenait avec lui le
cure. On demanda plus d'une fois au conducteur ou il menait le general,
jamais on n'en put tirer une parole, sinon: "J'ai defense de parler; si
je dis un mot je perdrai un pourboire de cent francs."
Quelques personnes avaient suivi le cabriolet, mais le general s'en
apercevait toujours; ces jours-la il allait, allait comme le vent,
jusqu'a ce que les curieux fussent obliges de terminer leur poursuite,
sous peine de crever leurs chevaux.
Un autre motif de surprise pour le village, c
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