qu'il nous prenait pour des voleurs.
LE GENERAL.--Mon ami, c'est pour cela que je lui ai fait la peur qu'il a
eue. A present que nous voila loges, allons acheter ce qu'il nous faut
pour etre convenablement montes en linge et en vetements.
Le general partit, suivi de son escorte; il ne trouva pas a Bagnoles les
vetements elegants et le linge fin qu'il revait, mais il y trouva de
quoi se donner l'apparence d'un homme bien monte. Il voulut faire aussi
le trousseau de Moutier et de Derigny, et il leur aurait achete une
foule d'objets inutiles si tous deux ne s'y fussent vivement opposes.
Le sejour aux eaux se passa tres bien pour le general qui s'amusait de
tout, qui faisait et disait des originalites partout, qui demandait en
mariage toutes les jeunes filles au-dessus de quinze ans, qui invitait
toutes les personnes gaies et agreables a venir le voir en Russie, a
Gromiline, pres de Smolensk, qui mangeait et buvait toute la journee.
Moutier et Derigny passerent leur temps posement, un peu tristement,
car Moutier attendait avec impatience l'heure du retour qui devait le
ramener et le fixer a jamais a l'Ange-Gardien, pres d'Elfy; et Derigny
etait en proie a un chagrin secret qui le minait et qui alterait meme
sa sante. Moutier chercha vainement a gagner sa confiance; il ne put
obtenir l'aveu de ce chagrin. Le general lui-meme eut beau demander,
presser, se facher, menacer, jamais il ne put rien decouvrir des
antecedents de Derigny. Jamais aucun manquement de service ne venait
agacer l'humeur turbulente du general; jamais Derigny ne lui faisait
defaut; toujours a son poste, toujours pret, toujours serviable, exact,
intelligent, actif, il etait proclame par le generai la perle des
serviteurs; du reste, insouciant pour tout ce qui ne regardait pas son
service, il refusait l'argent que lui offrait le general; et quand
celui-ci insistait:
"Veuillez me le garder, mon general; je n'en ai que faire a present."
Quand vint le jour du depart, le general etait radieux, Moutier
bondissait de joie. Derigny restait triste et grave. On partit enfin
apres des adieux triomphants pour le general qui avait repandu l'or a
pleines mains a l'hotel, aux bains, partout.
Plus de deux cents personnes le conduisirent avec des benedictions, des
supplications de revenir, des vivats, qu'il recompensa en versant dans
chaque main un dernier tribut de la fortune a la pauvrete.
XVII
Coup de theatre.
Le voyage ne fut pas long. Partis le mat
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