tion de mon volume, j'etais en train de
dejeuner a table d'hote a cote du farouche penseur, quand Jacques, tres
essouffle, se precipita dans la salle:
"Grande nouvelle! me dit-il en m'entrainant dehors; je pars ce soir, a
sept heures, avec le marquis... Nous allons a Nice voir sa soeur, qui
est mourante... Peut-etre resterons-nous longtemps... Ne t'inquiete pas
de ta vie... Le marquis double mes appointements. Je pourrai t'envoyer
cent francs par mois... Eh bien, qu'as-tu? Te voila tout pale. Voyons!
Daniel, pas d'enfantillage. Rentre la-dedans, acheve de dejeuner et bois
une demi-bordeaux, afin de te donner du courage. Moi, je cours dire
adieu a Pierrotte, prevenir l'imprimeur, faire porter les exemplaires
aux journalistes... Je n'ai pas une minute... Rendez-vous a la maison a
cinq heures."
Je le regardai descendre la rue Saint-Benoit a grandes enjambees, puis
je rentrai dans le restaurant; mais je ne pus rien manger ni boire, et
c'est le penseur qui vida la demi-bordeaux. L'idee que dans quelques
heures ma mere Jacques serait loin m'etreignait le coeur. J'avais beau
songer a mon livre, aux yeux noirs, rien ne pouvait me distraire de
cette pensee que Jacques allait partir et que je resterais seul, tout
seul dans Paris, maitre de moi-meme et responsable de toutes mes
actions.
Il me rejoignit a l'heure dite. Quoique tres emu lui-meme, il affecta
jusqu'au dernier moment la plus grande gaiete. Jusqu'au dernier moment
aussi il me montra la generosite de son ame et l'ardeur admirable qu'il
mettait a m'aimer. Il ne songeait qu'a moi, a mon bien-etre, a ma vie.
Sous pretexte de faire sa malle, il inspectait mon linge, mes vetements:
"Tes chemises sont dans ce coin, vois-tu, Daniel... tes mouchoirs a
cote, derriere les cravates."
Comme je lui disais:
"Ce n'est pas ta malle que tu fais, Jacques; c'est mon armoire..."
Armoire et malle, quand tout fut pret, on envoya chercher une voiture,
et nous partimes pour la gare. En route, Jacques me faisait ses
recommandations. Il y en avait de tout genre:
"Ecris-moi souvent... Tous les articles qui paraitront sur ton volume,
envoie-les-moi, surtout celui de Gustave Planche. Je ferai un cahier
cartonne et je les collerai tous dedans. Ce sera le livre d'or de la
famille Eyssette... A propos, tu sais que la blanchisseuse vient le
mardi... Surtout ne te laisse pas eblouir par le succes... Il est clair
que tu vas en avoir un tres grand, et c'est fort dangereux, les
succes pari
|