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rencontree, notre superbe voisine?" Mais, jamais il ne s'expliquait
davantage. Moi je pensais: "Il ne veut pas que je la connaisse.... C'est
sans doute une grisette du Quartier latin." Et cette idee m'embrasait la
tete. Je me figurais quelque chose de frais, de jeune, de joyeux--une
grisette, quoi! Il n'y avait pas jusqu'a ce nom de Coucou-Blanc qui
ne me parut plein de saveur, un de ces jolis sobriquets d'amour comme
Musette ou Mimi Pinson. C'etait, dans tous les cas, une Musette bien
sage et bien rangee que ma voisine, une Musette de Nanterre, qui
rentrait tous les soirs a la meme heure, et toujours seule. Je savais
cela pour avoir plusieurs jours de suite, a l'heure ou elle arrivait,
applique mon oreille a sa cloison... Invariablement, voici ce que
j'entendais: d'abord comme un bruit de bouteille qu'on debouche et
rebouche plusieurs fois; puis au bout d'un moment, pouf! la chute d'un
corps tres lourd sur le parquet; et presque aussitot une petite voix
grele, tres aigue, une voix de grillon malade, entonnant je ne sais quel
air a trois notes, triste a faire pleurer. Sur cet air-la, il y avait
des paroles, mais je ne les distinguais pas, excepte cependant
les incomprehensibles syllabes que voici:--_Tolocototignan!_...
_Tolocototignan!_...--qui revenaient de temps en temps dans la chanson
comme un refrain plus accentue que le reste. Cette singuliere musique
durait environ une heure; puis, sur un dernier _tolocototignan_, la voix
s'arretait tout a coup; et je n'entendais plus qu'une respiration lente
et lourde... Tout cela m'intriguait beaucoup.
Un matin, ma mere Jacques, qui venait de chercher de l'eau, entra
vivement chez nous avec un grand air de mystere et s'approchant de moi
me dit tout bas:
"Si tu veux voir notre voisine... chut!... elle est la."
D'un bond je fus sur le palier... Jacques ne m'avait pas menti...
Coucou-Blanc etait dans sa chambre, avec sa porte grande ouverte; et
je pus enfin la contempler... Oh! Dieu! Ce ne fut qu'une vision; mais
quelle vision!... Imaginez une petite mansarde completement nue, a terre
une paillasse, sur la cheminee une bouteille d'eau-de-vie, au-dessus de
la paillasse un enorme et mysterieux fer a cheval pendu au mur comme un
benitier. Maintenant, au milieu de ce chenil, figurez-vous une horrible
Negresse avec de gros yeux de nacre, des cheveux courts, laineux et
frises comme une toison de brebis noire, et une vieille crinoline rouge,
sans rien dessus.... C'est ainsi qu
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