en irez tout a fait.
"--Je m'en vais, monsieur le marquis.
"--Bon voyage!"
"Et voila mon coquin parti.... C'est sur vous, mon cher garcon, que je
compte pour le remplacer. Les conditions sont celles-ci: le secretaire
vient chez moi le matin a huit heures; il apporte son dejeuner. Je dicte
jusqu'a midi. A midi le secretaire dejeune tout seul, car je ne dejeune
jamais. Apres le dejeuner du secretaire, qui doit etre tres court, on
se remet a l'ouvrage. Si je sors, le secretaire m'accompagne; il a un
crayon et du papier. Je dicte toujours: en voiture, a la promenade, en
visite, partout! le soir, le secretaire dine avec moi. Apres le diner,
nous relisons ce que j'ai dicte dans la journee. Je me couche a huit
heures, et le secretaire est libre jusqu'au lendemain. Je donne cent
francs par mois et le diner. Ce n'est pas le Perou; mais dans trois ans,
les memoires termines, il y aura un cadeau, et un cadeau royal, foi
d'Hacqueville! ce que je demande, c'est qu'on soit exact, qu'on ne se
marie pas, et qu'on sache ecrire tres vite sous la dictee. Savez-vous
ecrire sous la dictee?
"--Oh! parfaitement, monsieur le marquis", repondis-je avec une forte
envie de rire.
"C'etait si comique, en effet, cet acharnement du destin a me faire
ecrire sous la dictee toute ma vie!...
"--Eh bien, alors, mettez-vous la, reprit le marquis. Voici du papier et
de l'encre. Nous allons travailler tout de suite. J'en suis au chapitre
XXIV: _Mes demeles avec M. de Villele_. Ecrivez...."
"Et le voila qui se met a me dicter d'une petite voix de cigale, en
sautillant d'un bout de la piece a l'autre.
"C'est ainsi, mon Daniel, que je suis entre chez cet original, lequel
est au fond un excellent homme. Jusqu'a present, nous sommes tres
contents l'un de l'autre; hier au soir, en apprenant ton arrivee, il a
voulu me faire emporter pour toi cette bouteille de vin vieux. On nous
en sert une comme cela tous les jours a notre diner, c'est te dire si
l'on dine bien. Le matin, par exemple, j'apporte mon dejeuner; et tu
rirais de me voir manger mes deux sous de fromage d'Italie dans une fine
assiette de Moustiers, sur une nappe a blason. Ce que le bonhomme en
fait, ce n'est pas par avarice, mais pour eviter a son vieux cuisinier,
M. Pilois, la fatigue de me preparer mon dejeuner.... En somme, la vie
que je mene n'est pas desagreable. Les memoires du marquis sont fort
instructifs, j'apprends sur M. Decazes et M. de Villele une foule de
choses qui ne pe
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