t l'oreille basse d'une de ces visites a la rue
Saint-Guillaume--je m'etais jure d'y aller jusqu'a ce qu'on me mit a
la porte--, je trouvai chez mon portier une petite lettre. Devine de
qui?... Une lettre du comte, mon cher, du comte de la rue de Lille,
qui m'engageait a me presenter sans retard chez son ami le marquis
d'Hacqueville. On demandait un secretaire.... Tu penses, quelle joie! et
aussi quelle lecon! Cet homme froid et sec, sur lequel je comptais si
peu, c'etait justement lui qui s'occupait de moi, tandis que l'autre, si
accueillant, me faisait faire depuis huit jours le pied de grue sur son
perron, expose, ainsi que le cure de Saint-Nizier, aux rires insolents
des aras bleus et or.... C'est la la vie, mon cher; et a Paris on
l'apprend vite.
"Sans perdre une minute, je courus chez le marquis d'Hacqueville. Je
trouvai un petit vieux, fretillant, sec, tout en nerfs, alerte et gai
comme une abeille. Tu verras quel joli type. Une tete d'aristocrate,
fine et pale, des cheveux droits comme des quilles, et rien qu'un oeil,
l'autre est mort d'un coup d'epee, voila longtemps. Mais celui qui reste
est si brillant, si vivant, si parlant, si interrogeant, qu'on ne peut
pas dire que le marquis est borgne. Il a deux yeux dans le meme oeil,
voila tout.
"Quand j'arrivai devant ce singulier petit vieillard, je commencai par
lui debiter quelques banalites de circonstance; mais il m'arreta net:
"--Pas de phrases! me dit-il. Je ne les aime pas. Venons aux faits,
voici. J'ai entrepris d'ecrire mes memoires. Je m'y suis malheureusement
pris un peu tard, et je n'ai plus de temps a perdre, commencant a me
faire tres vieux. J'ai calcule qu'en employant tous mes instants, il me
fallait encore trois annees de travail pour terminer mon oeuvre. J'ai
soixante-dix ans, les jambes sont en deroute; mais la tete n'a pas
bouge. Je peux donc esperer aller encore trois ans et mener mes memoires
a bonne fin. Seulement, je n'ai pas une minute de trop; c'est ce que mon
secretaire n'a pas compris. Cet imbecile--un garcon fort intelligent, ma
foi, dont j'etais enchante--s'est mis dans la tete d'etre amoureux et de
vouloir se marier. Jusque-la il n'y a pas de mal. Mais voila-t-il pas
que, ce matin, mon drole vient me demander deux jours de conge pour
faire ses noces. Ah! bien oui! deux jours de conge! Pas une minute.
"--Mais, monsieur le marquis....
"--Il n'y a pas de "mais, monsieur le marquis...." Si vous vous en allez
deux jours, vous vous
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