e m'apparut pour la premiere fois ma
voisine Coucou-Blanc, la Coucou-Blanc de mes reves, la soeur de Mimi
Pinson et de Bergerette.... O province romanesque, que ceci te serve de
lecon!...
"Eh bien, me dit Jacques en me voyant rentrer, eh bien, comment la
trouves...." Il n'acheva pas sa phrase et, devant ma mine deconfite,
partit d'un immense eclat de rire. J'eus le bon esprit de faire comme
lui, et nous voila riant de toutes nos forces l'un en face de l'autre
sans pouvoir parler. A ce moment, par la porte entrebaillee, une grosse
tete noire se glissa dans la chambre et disparut presque aussitot en
nous criant: "Blancs moquer Negre, pas joli." Vous pensez si nous rimes
de plus belle....
Quand notre gaiete fut un peu calmee, Jacques m'apprit que la Negresse
Coucou-Blanc etait au service de la dame du premier; dans la maison, on
l'accusait d'etre un peu sorciere: a preuve, le fer a cheval, symbole du
culte Vaudoux, qui pendait au-dessus de sa paillasse. On disait aussi
que tous les soirs, quand sa maitresse etait sortie. Coucou-Blanc
s'enfermait dans sa mansarde, buvait de l'eau-de-vie jusqu'a tomber
ivre morte, et chantait des chansons negres une partie de la nuit. Ceci
m'expliquait tous les bruits mysterieux qui venaient de chez ma voisine:
la bouteille debouchee, la chute sur le parquet, et l'air monotone a
trois notes. Quant au _tolocototignan_, il parait que c'est une sorte
d'onomatopee, tres repandue chez les Negres du Cap, quelque chose comme
notre _lon, lan, la_; les Pierre Dupont en ebene mettent de ca dans
toutes leurs chansons.
A partir de ce jour, ai-je besoin de le dire? le voisinage de
Coucou-Blanc ne me donna plus autant de distractions. Le soir, quand
elle montait, mon coeur ne trottait plus si vite; jamais je ne me
derangeais plus pour aller coller mon oreille a la cloison....
Quelquefois pourtant, dans le silence de la nuit, les _tolocototignan_
venaient jusqu'a ma table, et j'eprouvais je ne sais quel vague malaise
en entendant ce triste refrain; on eut dit que je pressentais le role
qu'il allait jouer dans ma vie....
Sur ces entrefaites, ma mere Jacques trouva une place de teneur de
livres a cinquante francs par mois chez un petit marchand de fer, ou il
devait se rendre tous les soirs en sortant de chez le marquis. Le pauvre
garcon m'apprit cette bonne nouvelle, moitie content, moitie fache.
"Comment feras-tu pour aller _la-bas_?" lui dis-je tout de suite. Il me
repondit, les yeux pleins de lar
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