tort aux
cabaretiers. Comme tous les gars de son age, Pierrotte avait une bonne
amie, qu'il allait attendre le dimanche a la sortie des vepres pour
l'emmener danser des gavottes sous les muriers. La bonne amie de
Pierrotte s'appelait Roberte, la grande Roberte. C'etait une belle
magnanarelle de dix-huit ans, orpheline comme lui, pauvre comme lui,
mais sachant tres bien lire et ecrire, ce qui, dans les villages
cevenols, est encore plus rare qu'une dot. Tres fier de sa Roberte,
Pierrotte comptait l'epouser des qu'il aurait tire au sort; mais, le
jour du tirage arrive, le pauvre Cevenol--bien qu'il eut trempe trois
fois sa main dans l'eau benite avant d'aller a l'urne--amena le n deg. 4...
Il fallait partir. Quel desespoir!... Heureusement Mme Eyssette, qui
avait ete nourrie, presque elevee par la mere de Pierrotte, vint au
secours de son frere de lait et lui preta deux mille francs pour
s'acheter un homme.--On etait riche chez les Eyssette dans ce
temps-la!--L'heureux Pierrotte ne partit donc pas et put epouser sa
Roberte; mais comme ces braves gens tenaient avant tout a rendre
l'argent de Mme Eyssette et qu'en restant au pays ils n'y seraient
jamais parvenus, ils eurent le courage de s'expatrier et marcherent sur
Paris pour y chercher fortune.
Pendant un an, on n'entendit plus parler de nos montagnards; puis, un
beau matin, Mme Eyssette recut une lettre touchante, signee "Pierrotte
et sa femme", qui contenait 300 francs, premiers fruits de leurs
economies. La seconde annee, nouvelle lettre de "Pierrotte et sa femme"
avec un dernier envoi de 1200 francs et des rien.--Sans doute, les
affaires ne marchaient pas.--La quatrieme annee, troisieme lettre de
"Pierrotte et sa femme" avec un dernier envoi de 1200 francs et des
benedictions pour toute la famille Eyssette. Malheureusement, quand
cette lettre arriva chez nous, nous etions en pleine debacle: on venait
de vendre la fabrique, et nous aussi nous allions nous expatrier....
Dans sa douleur, Mme Eyssette oublia de repondre a "Pierrotte et sa
femme". Depuis lors, nous n'en eumes plus de nouvelles, jusqu'au jour ou
Jacques, arrivant a Paris, trouva le bon Pierrotte--Pierrotte sans sa
femme, helas!--installe dans le comptoir de l'ancienne maison Lalouette.
Rien de moins poetique, rien de plus touchant que l'histoire de cette
fortune. En arrivant a Paris, la femme de Pierrotte s'etait mise
bravement a faire des menages. La premiere maison fut justement la
maison Lalouette.
|