e t'ennuierai pas beaucoup, tu verras. Tout
ce que je te demande, c'est de me laisser toujours marcher a cote de toi
et de te tenir la main. Avec cela, tu peux etre tranquille et regarder
la vie en face, comme un homme: elle ne te mangera pas."
Pour toute reponse, je lui saute au cou: "O ma mere Jacques, que tu es
bon!"--Et me voila pleurant a chaudes larmes sans pouvoir m'arreter,
tout a fait comme l'ancien Jacques, de Lyon. Le Jacques d'aujourd'hui ne
pleure plus, lui; la citerne est a sec, comme il dit. Quoi qu'il arrive,
il ne pleurera plus jamais.
A ce moment, sept heures sonnent. Les vitres s'allument. Une lueur pale
entre dans la chambre en frissonnant.
"Voila le jour, Daniel, dit Jacques. Il est temps de dormir. Couche-toi
vite... tu dois en avoir besoin.
--Et toi, Jacques?
--Oh! moi, je n'ai pas deux jours de chemin de fer dans les reins...
D'ailleurs, avant d'aller chez le marquis, il faut que je rapporte
quelques livres au cabinet de lecture et je n'ai pas de temps a
perdre... tu sais que le d'Hacqueville ne plaisante pas... Je rentrerai
ce soir a huit heures... Toi, quand tu te seras bien repose, tu sortiras
un peu. Surtout je te recommande."
Ici ma mere Jacques commence a me faire une foule de recommandations
tres importantes pour un nouveau debarque comme moi; par malheur,
tandis qu'il me les fait, je me suis etendu sur le lit, et sans dormir
precisement, je n'ai deja plus les idees bien nettes. La fatigue, le
pate, les larmes... Je suis aux trois quarts assoupi... J'entends d'une
facon confuse quelqu'un qui me parle d'un restaurant tout pres d'ici,
d'argent dans mon gilet, de ponts a traverser, de boulevards a
suivre, de sergents de ville a consulter, et du clocher de
Saint-Germain-des-Pres comme point de ralliement. Dans mon demi-sommeil,
c'est surtout ce clocher de Saint-Germain qui m'impressionne. Je vois
deux, cinq, dix clochers de Saint-Germain ranges autour de mon lit comme
des poteaux indicateurs. Parmi tous ces clochers, quelqu'un va et vient
dans la chambre, tisonne le feu, ferme les rideaux des croisees, puis
s'approche de moi, me pose un manteau sur les pieds, m'embrasse au front
et s'eloigne doucement avec un bruit de porte...
Je dormais depuis quelques heures, et je crois que j'aurais dormi
jusqu'au retour de ma mere Jacques, quand le son d'une cloche me
reveilla subitement. C'etait la cloche de Sarlande, l'horrible cloche de
fer qui sonnait comme autrefois: "Dig! dong! reveill
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