contre moi-meme, je demande a Dieu de me
delivrer de mon mal en faisant arriver cet amant inconnu auquel je ne
crois pas, et que vous avez invente pour me degouter de songer a vous.
Montrez-moi cet homme dans vos bras, ou aimez-moi, Therese! Faute de cette
solution, je n'en vois qu'une troisieme, c'est que je me tue pour en
finir... C'est lache et stupide, cette menace banale et rebattue par tous
les amants desesperes; mais est-ce ma faute s'il y a des desespoirs qui
font jeter le meme cri a tous ceux qui les subissent, et suis-je fou parce
que j'arrive a etre un homme comme les autres?
"De quoi m'a servi tout ce que j'ai invente pour m'en defendre et pour
rendre mon pauvre individu aussi inoffensif qu'il voulait etre libre?
"Avez-vous quelque chose a me reprocher vis-a-vis de vous, Therese?
Suis-je un fat, un roue, moi qui ne me piquais que de m'abrutir pour vous
donner confiance dans mon amitie? Mais pourquoi voulez-vous que je meure
sans avoir aime, vous qui seule pouvez me faire connaitre l'amour, et qui
le savez bien? Vous avez dans l'ame un tresor, et vous souriez a cote d'un
malheureux qui meurt de faim et de soif. Vous lui jetez une petite piece
de monnaie de temps en temps; cela s'appelle pour vous l'amitie; ce n'est
pas meme de la pitie, car vous devez bien savoir que la goutte d'eau
augmente la soif.
"Et pourquoi ne m'aimez-vous pas? Vous avez peut-etre aime deja quelqu'un
qui ne me valait pas. Je ne vaux pas grand'chose, c'est vrai, mais j'aime,
et n'est-ce pas tout?
"Vous n'y croirez pas, vous direz encore que je me trompe, comme l'autre
fois! Non, vous ne pourrez pas le dire, a moins de mentir a Dieu et a
vous-meme. Vous voyez bien que mon tourment me maitrise, et que j'arrive a
faire une declaration ridicule, moi qui ne crains rien tant au monde que
d'etre raille par vous!
"Therese, ne me croyez pas corrompu. Vous savez bien que le fond de mon
ame n'a jamais ete souille, et que, de l'abime ou je m'etais jete, j'ai
toujours, malgre moi, crie vers le ciel. Vous savez bien qu'aupres de vous
je suis chaste comme un petit enfant, et vous n'avez pas craint
quelquefois de prendre ma tete dans vos mains, comme si vous alliez
m'embrasser au front. Et vous disiez: "Mauvaise tete! tu meriterais d'etre
brisee." Et pourtant, au lieu de l'ecraser comme la tete d'un serpent,
vous tachiez d'y faire entrer le souffle pur et brulant de votre esprit.
Eh bien, vous n'avez que trop reussi; et, a present que vous avez
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