ats, m'expliqua mon pere, il n'y a que la France. Il
n'est pas de plus belle mort.
Grand-pere, qui assistait a la scene, declara que la plus belle, a son
avis, c'etait de mourir pour la liberte. Mais il n'insista pas et je
vis qu'il avait fache mon pere, malgre le silence qui suivit.
Cette idee le tarabustait, car il y revint lors de notre prochaine
sortie et m'entretint, avec plus d'exaltation qu'a son ordinaire,
d'une epoque resplendissante qu'il avait connu et aupres de laquelle
la notre n'etait que tenebres. La notre me semblait supportable avec
les promenades et le cafe. On avait alors, une seconde fois, delivre
la liberte, comme sous la Revolution, et quand la liberte est
delivree, une ere de paix et de concorde universelle commence. Deja
les citoyens d'un meme elan fraternel, travaillaient en commun dans de
vastes ateliers nationaux. Une remuneration modeste, mais egale pour
tous, pour les faibles et pour les forts, pour les malingres et les
robustes, apportait a chacun le contentement du pain quotidien
desormais garanti.
--C'est, dis-je, ce que reclame M. Martinod.
--Martinod a raison, reprit mon compagnon, mais reussira-t-il ou nous
avons echoue?
--Vous avez echoue, grand-pere?
--Nous avons echoue dans le sang des journees de Juin.
_Nous avons echoue dans le sang des journees de Juin..._ Le sens de
ces mots pouvait m'echapper: ils faisaient une musique pareille a un
roulement de tambour. Autrefois, il y avait trois ou quatre ans, je
m'etais excite sur d'autres paroles mysterieuses telles que la plainte
du Merle blanc: _J'ai coordonne des fadaises pendant que vous etiez
dans les bois_, et encore celle du Rossignol: _Je m'egosille toute la
nuit pour elle, mais elle dort et ne m'entend pas_. Maintenant, j'en
trouvais la melancolie un peu fade, et je leur preferais ce nouveau
rythme douloureux et guerrier. Touche au coeur, je reclamai la suite,
comme pour les histoires de tante Dine quand j'etais petit:
--Et alors, qu'est-il arrive?
--Un tyran.
Ah! cette fois, j'etais fixe. Un tyran, un hospodar, quoi! l'hospodar
de tante Dine, le fameux homme habille de rouge qui commandait avec de
grands cris.
--Quel tyran? m'informai-je pour etre completement renseigne.
--Badinguet. Napoleon III. D'ailleurs, tous les empereurs et tous les
rois sont des tyrans.
Non, decidement, je ne comprenais plus. La lueur de verite que
j'entrevoyais s'eteignait. Mon pere, a table ou dans les conversations
qu'il
|