ement. Des qu'il pourra se mettre en route, madame Dudevant
et lui partiront pour Rome, dont Alfred a un desir effrene."
Ainsi Alfred Tattet rend, le plus formel et le plus elogieux hommage aux
soins combines de George Sand et du docteur Pagello. Il n'a rien vu, rien
pressenti qui eveillat ses soupcons. Lie a Musset par la plus etroite
camaraderie, il n'a recueilli de sa bouche aucune plainte, pas la moindre
allusion a la scene mysterieuse et dramatique que le poete des _Nuits_
n'a jamais retracee, mais qui, sous la plume haineuse de son frere,
devient la plus cruelle des incriminations. L'ame genereuse d'Alfred de
Musset ne peut ni avoir concu ni avoir autorise cette vengeance posthume.
Aussi bien n'eut-il pas songe a partir avec George Sand pour Rome, si elle
l'avait miserablement et cyniquement trompe.
CHAPITRE X
LE DOCTEUR PAGELLO
Avant d'examiner comment au chevet d'un malade la sympathie et la
tendresse ont pu naitre entre le docteur Pagello et George Sand, il
importe, pour bien etablir des responsabilites morales qui seront assez
lourdes, de preciser s'il y avait rupture d'intimite entre Alfred de
Musset et sa compagne de voyage. Cette rupture n'est pas niable. George
Sand s'en explique categoriquement, dans une des lettres qu'elle ecrivit
au cours des reconciliations et des brouilles qui se succederent durant
l'hiver 1834-1835: "De quel droit d'ailleurs m'interroges-tu sur Venise?
Etais-je a toi a Venise? Des le premier jour, quand tu m'as vue malade,
n'as-tu pas pris de l'humeur, en disant que c'etait bien triste et bien
ennuyeux, une femme malade? et n'est-ce pas du premier jour que date notre
rupture? Mon enfant, moi, je ne veux pas recriminer, mais il faut bien que
tu t'en souviennes, toi qui oublies si aisement les faits. Je ne veux pas
dire tes torts, jamais je ne t'ai dit seulement ce mot-la, jamais je ne me
suis plainte d'avoir ete enlevee a mes enfants[8], a mes amis, a mon
travail, a mes affections et a mes devoirs, pour etre conduite a trois
cents lieues et abandonnee avec des paroles si offensantes et si navrantes,
sans aucun autre motif qu'une fievre tierce, des yeux abattus et la
tristesse profonde ou me jetait ton indifference. Je ne me suis jamais
plainte, je t'ai cache mes larmes, et ce mot affreux a ete prononce, un
certain soir que je n'oublierai jamais, dans le casino Danieli: "George,
je m'etais trompe, je t'en demande pardon, mais _je ne t'aime pas_." Si je
n'eusse ete malade
|