t, ne peut pas lui
avoir confie pour un usage posthume et perfide cette arme empoisonnee. Ne
rendait-il point un delicat et chevaleresque hommage a George Sand, des
son retour a Paris, en ecrivant a Sainte-Beuve le 27 avril 1834?
"J'ai a vous remercier, mon cher Sainte-Beuve, de l'interet que vous avez
bien voulu prendre aux tristes circonstances qui m'ont force de quitter
l'Italie. Buloz sort de chez moi maintenant, et j'apprends par lui que mon
retour est interprete de plusieurs manieres par certaines gens. Tant qu'il
ne s'agit que de moi-meme, je suis oblige d'avouer qu'un mepris naturel
m'a toujours la-dessus tenu lieu de philosophie; mais je verrais avec le
plus grand chagrin qu'on accusat madame Sand du plus leger tort a mon
occasion, et surtout que de pareilles accusations pussent venir jusqu'a
vous. Je sais que madame Sand tient a votre estime, et je mettrais autant
d'empressement a la defendre aupres d'un homme capable de l'apprecier, que
je mets d'orgueil a laisser parler les sots anonymes. Un mot de vous, a ce
sujet, me ferait plaisir. J'ai pour madame Sand trop de respect et
d'estime pour les renfermer en moi seul, et vous etes un de ceux a qui je
voudrais le plus possible les voir partager.
"Tout a vous de coeur.
"Alfred de MUSSET."
S'il avait eu devant les yeux, quelques semaines auparavant, l'infame
trahison de sa maitresse, Alfred de Musset n'aurait pas ecrit cette
lettre. L'ayant ecrite, il ne desavouera pas les sentiments qu'il y
traduit et dont on retrouve l'echo dans la _Confession d'un enfant du
siecle_, il n'ira pas salir et deshonorer George Sand, en dictant a son
frere Paul la page suivante, effroyablement accusatrice:
"Il y avait a peu pres huit ou dix jours que j'etais malade a Venise. Un
soir, Pagello et George Sand etaient assis pres de mon lit. Je voyais l'un,
je ne voyais pas l'autre, et je les entendais tous les deux. Par instants,
les sons de leurs voix me paraissaient faibles et lointains; par instants,
ils resonnaient dans ma tete avec un bruit insupportable.
"Je sentais des bouffees de froid monter du fond de mon lit, une vapeur
glacee, comme il en sort d'une cave ou d'un tombeau, me penetrer jusqu'a
la moelle des os. Je concus la pensee d'appeler, mais je ne l'essayai meme
pas, tant il y avait loin du siege de ma pensee aux organes qui auraient
du l'exprimer. A l'idee qu'on pouvait me croire mort et m'enterrer avec ce
reste de vie refugie dans mon cerveau, j'eus peur; et il
|