laisser
rien paraitre. Et, puisque Pardaillan traitait le Chico sur un pied
d'egalite, c'est qu'il avait sans doute de bonnes raisons pour cela, et
ils s'empresserent de l'imiter. En sorte que Juana vit, avec une stupeur
qui allait grandissant, ces personnages, qu'elle venerait au-dessus de
tout, temoigner une grande consideration a son eternelle poupee, cette
poupee a qui elle croyait faire un tres grand honneur en lui permettant
de baiser le bout de son soulier.
Elle ne disait rien, la petite Juana; mais Pardaillan, amuse, lisait sur
sa physionomie mobile et loyale toutes les questions qu'elle se posait
sans oser les formuler tout haut.
--Croiriez-vous, dit-il a un certain moment, que ce petit diable a ose
lever la dague sur moi? A telles enseignes que je me demande comment je
suis encore vivant.
--Ah bah! fit Cervantes, le petit est brave?
--Plus que vous ne croyez, dit gravement Pardaillan. Dans la petite
poitrine de cette reduction d'homme bat un coeur ferme et genereux.
Il n'est pas de bravoure comparable a celle qui s'ignore. Je vous
expliquerai un jour peut-etre ce qu'a fait cet enfant. Pour le moment,
sachez que je l'aime et l'estime, et je vous prie de le traiter en ami,
non pour l'amour de moi, mais pour lui-meme.
--Chevalier, dit gravement Cervantes, du moment que vous le jugez digne
de votre amitie, nous nous honorerons de faire comme vous.
Par exemple, le Chico ne savait quelle contenance garder. Il etait
heureux, certes, mais ces compliments, de la part d'hommes qu'il
regardait comme des heros, le plongeaient dans une gene qu'il ne
parvenait pas a surmonter. Cependant, nous devons dire qu'il louchait
constamment du cote de Juana pour juger de l'effet produit sur elle
par ces louanges qu'on faisait de sa petite personne. Et il avait lieu
d'etre satisfait, car Juana, maintenant, le regardait d'un tout autre
oeil et lui faisait son plus gracieux sourire...
Apres avoir ainsi frappe indirectement l'esprit de la fillette,
Pardaillan la prit a partie directement et, moitie plaisant, moitie
serieux:
--C'est vous, ma gracieuse Juana, qui avez pris soin de cet abandonne,
votre compagnon d'enfance. Par lui, qui m'a sauve, je vous suis
redevable. Mais une chose qu'il faut que vous sachiez, c'est que la
femme qui aura le bonheur d'etre aimee de Chico pourra compter sur cet
amour jusqu'a la mort. Jamais coeur plus vaillant et plus fidele n'a
battu dans une poitrine d'homme.
Juana ne dit rien, mais
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