rero secoua energiquement la tete.
--Je ne vois pas comme vous, dit-il fermement. Les conditions dans
lesquelles j'ai ete eleve sont normales, naturelles, je dirai mieux,
elles me paraissent obligatoires s'il s'agit--et je crois que c'est mon
cas--d'une naissance clandestine, du produit d'une faute, pour tout
dire. Ces memes conditions me paraissent tout a fait inadmissibles dans
un cas normal et legitime... tel que la naissance de l'heritier legitime
d'un trone.
Ayant dit ces mots avec une conviction evidemment sincere, le Torero
demeura un moment reveur.
Pardaillan, qui connaissait le secret de sa naissance, et qui continuait
de l'observer avec une attention soutenue, songea en lui-meme:
"Pas si mal raisonne que cela."
Cependant le Torero reprenait:
--Et quand bien meme je serais le fils du roi, quand bien meme Mme
Fausta etalerait a mes yeux les preuves les plus convaincantes, ces
fameuses preuves qu'elle detient, parait-il, eh bien, voulez-vous que
je vous dise? Je refuserais de reconnaitre le roi pour mon pere, je
m'efforcerais de refouler ma haine et je disparaitrais, je fuirais
l'Espagne, je resterais ce que je suis: obscur et sans nom.
--Ah bah! et pourquoi donc? fit Pardaillan, dont les yeux petillaient.
--Voyons, chevalier, si le roi, mon pere, me tendait les bras, s'il me
reconnaissait, s'il s'efforcait de reparer le passe, ne serais-je pas en
droit d'accepter la nouvelle situation qui me serait faite?
--Si votre pere vous tendait les bras, dit gravement Pardaillan, votre
devoir serait de le presser sur votre coeur et d'oublier le mal qu'il
pourrait vous avoir fait.
--N'est-ce pas? fit joyeusement le Torero. C'est bien ce que je pensais.
Mais ce n'est pas du tout cela que l'on m'offre.
--Diable! que vous offre-t-on?
--On m'offre des millions pour soulever les populations, on m'offre le
concours de gens que je ne connais pas. On ne m'offre pas l'affection
paternelle. En echange de ces millions et de ces concours, on me propose
de me dresser contre mon pretendu pere. Mon premier acte de fils sera un
acte de rebellion envers mon pere.
--C'est a la tete d'une armee que je prendrai contact avec ce pere, et
c'est les armes a la main que je lui adresserai mon premier mot. Et,
quand je l'aurai humilie, bafoue, vaincu, je lui imposerai de me
reconnaitre officiellement pour son heritier. Voila ce que l'on m'offre,
ce que l'on me propose, chevalier.
--Et vous avez accepte?
--Chevalier,
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