e de la marine, un phaeton tres haut sur ses roues legeres,
ressemblant assez a un grand faucheux, dont le petit groom cramponne au
caisson et les deux personnes occupant le siege du devant auraient forme
le corps, manqua d'accrocher le trottoir en tournant.
Le Nabab leva la tete, etouffa un cri.
A cote d'une fille peinte, en cheveux roux, coiffee d'un tout petit
chapeau aux larges brides, et qui, juchee sur son coussin de cuir,
conduisait le cheval des mains, des yeux, de toute sa factice personne
a la fois raide et penchee en avant, se tenait, rose et maquille aussi,
fleuri sur le meme fumier, engraisse aux memes vices, Moessard, le joli
Moessard. La fille et le journaliste, et le plus vendu des deux, ce
n'etait pas elle encore! Dominant ces femmes allongees dans leurs
caleches, ces hommes qui leur faisaient face engloutis sous des volants
de robes, toutes ces poses de fatigue et d'ennui que les repus etalent
en public comme un mepris du plaisir et de la richesse, ils tronaient
insolemment, elle tres fiere de promener l'amant de la reine, et lui
sans la moindre honte a cote de cette creature qui raccrochait les
hommes dans les allees du bout de son fouet, a l'abri, sur son siege en
perchoir, des rafles salutaires de la police. Peut-etre avait-il besoin,
pour emoustiller sa royale maitresse, de pavaner ainsi sous ses fenetres
en compagnie de Suzanne Bloch, dite Suze la Rousse.
--Hep!... hep donc!
Le cheval, un grand trotteur aux jambes fines, vrai cheval de cocotte,
se remettait de son ecart dans le droit chemin avec des pas de danse,
des graces sur place sans avancer. Jansoulet lacha sa serviette, et
comme s'il avait laisse choir en meme temps toute sa gravite, son
prestige d'homme public, il fit un bond terrible et sauta au mors de la
bete, qu'il maintint de ses fortes mains a poils.
Une arrestation rue Royale, et en plein jour, il fallait ce Tartare pour
oser un coup pareil!
--A bas, dit-il a Moessard dont la figure s'etait plaquee de vert et de
jaune en l'apercevant. A bas, tout de suite...
--Voulez-vous bien lacher mon cheval, espece d'enfle!...
--Fouette, Suzanne, c'est le Nabab.
Elle essaya de ramasser les renes, mais l'animal, maintenu, se cabra si
vivement qu'un peu plus, comme une fronde, le fragile equipage aurait
envoye au loin tous ceux qu'il portait. Alors, furieuse d'une de ces
rages de faubourg qui font eclater en ces filles tout le vernis de leur
luxe et de leur peau, elle cingla le
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