vu?" dit Paul le premier.
Elle avait vu, et elle avait compris, malgre sa candeur d'honnetete, car
une rougeur se repandait sur ses traits, une de ces hontes ressenties
pour les fautes de ceux qu'on aime.
"Pauvre Felicia," dit-elle tout bas, en plaignant non seulement la
malheureuse abandonnee qui venait de passer devant eux, mais aussi celui
que cette defection devait frapper en plein coeur. La verite est
que Paul de Gery n'avait eu aucune surprise de cette rencontre, qui
justifiait des soupcons anterieurs et l'eloignement instinctif eprouve
pour la charmeuse dans leur diner des jours precedents. Mais il lui
sembla doux d'etre plaint par Aline, de sentir l'apitoiement de cette
voix plus tendre, de ce bras qui s'appuyait davantage. Comme les enfants
qui font les malades pour la joie des calineries maternelles, il laissa
la consolatrice s'ingenier autour de son chagrin, lui parler de
ses freres, du Nabab, et du prochain voyage a Tunis, un beau pays,
disait-on. "Il faudra nous ecrire souvent, et de longues lettres, sur
les curiosites de la route, l'endroit que vous habiterez... Car on voit
mieux ceux qui sont loin quand on peut se figurer le milieu ou ils
vivent." Tout en causant, ils arrivaient au bout de l'allee couverte,
terminee par une immense clairiere dans laquelle se mouvait le tumulte
du Bois, voitures et cavaliers s'alternant, et la foule a cette distance
pietinant dans une poudre floconneuse qui la massait confusement en
troupeau. Paul ralentit le pas, enhardi par cette derniere minute de
solitude.
"Savez-vous a quoi je pense, dit-il en prenant la main d'Aline; c'est
qu'on aurait plaisir a etre malheureux pour se faire consoler par vous.
Mais, si precieuse que me soit votre pitie, je ne puis pourtant vous
laisser vous attendrir sur un mal imaginaire... Non, mon coeur n'est pas
brise, mais plus vivant, plus fort au contraire. Et si je vous disais
quel miracle l'a preserve, quel talisman..."
Il lui mit sous les yeux un petit cadre ovale entourant un profil sans
ombres, un simple contour au crayon ou elle se reconnut, surprise d'etre
si jolie, comme refletee dans le miroir magique de l'Amour. Des larmes
lui vinrent aux yeux sans qu'elle sut pourquoi, une source ouverte dont
le flot battait sa poitrine chaste. Il continua:
"Ce portrait m'appartient. Il a ete fait pour moi... Cependant, au
moment de partir, un scrupule m'est venu. Je ne veux le tenir que de
vous-meme... Prenez-le donc, et si vous trouvez
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