ne plus entendre. La voix du poete, eloquente et
jeune, montait seule dans le silence, les vers s'envolaient fremissants,
repetes tout bas par d'autres levres emues, et c'etaient des
approbations etouffees, des frissons aux passages tragiques. Meme on
vit Bonne Maman essuyer une grosse larme. Ce que c'est pourtant que de
n'avoir pas de broderie en main.
La premiere oeuvre!... _Revolte_ etait cela pour Andre, cette premiere
oeuvre toujours trop abondante et touffue dans laquelle l'auteur jette
d'abord tout un arriere d'idees, d'opinions, pressees comme les eaux au
bord d'une ecluse, et qui est souvent la plus riche sinon la meilleure
d'un ecrivain. Quant au sort qui l'attendait, nul n'aurait pu le dire;
et l'incertitude planant sur la lecture du drame ajoutait a son emotion
celle de chaque auditeur, les voeux tout de blanc vetus de mademoiselle
Elise, les hallucinations fantaisistes de M. Joyeuse, et les souhaits
plus positifs d'Aline installant d'avance la modeste fortune de sa
soeur dans le nid, battu des vents mais envie de la foule, d'un menage
d'artiste.
Ah! si quelqu'un de ces promeneurs tournant pour la centieme fois autour
du lac, accable par la monotonie de son habitude, etait venu ecarter
les branches, quelle surprise devant ce tableau! Mais se serait-il bien
doute de tout ce qu'il pouvait tenir de passion, de reves, de poesie et
d'esperance dans ce petit coin de verdure guere plus large que l'ombre
dentelee d'une fougere sur la mousse?
"Vous aviez raison, je ne connaissais pas le Bois..." disait Paul tout
bas a Aline appuyee sur son bras.
Ils suivaient maintenant une allee etroite et couverte, et tout en
causant marchaient d'un pas tres vif, bien en avant des autres. Ce
n'etait pourtant pas la terrasse du pere Kontzen ni ses fritures
croustillantes qui les attiraient. Non, les beaux vers qu'ils venaient
d'entendre les avaient emportes tres haut, et ils n'etaient pas encore
redescendus. Ils allaient devant eux vers le bout toujours fuyant du
chemin qui s'elargissait a son extremite dans une gloire lumineuse, une
poussiere de rayons comme si tout le soleil de cette belle journee les
attendait, tombe a la lisiere. Jamais Paul ne s'etait senti si heureux.
Ce bras leger pose sur son bras, ce pas d'enfant ou le sien se guidait,
lui auraient rendu la vie douce et facile autant que cette promenade sur
la mousse d'une allee verte. Il l'eut dit a la jeune fille, simplement,
comme il le sentait, s'il n'avait crai
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