uvante lecture qui fait trembler
le livre entre ses doigts. Il y a de quoi trembler, certes, devant
l'effarement, la stupeur indignee, avec lesquels M. Joyeuse accueille
cette demande de la main de sa fille:
"Est-ce possible? Comment cela s'est-il fait? Quel prodigieux evenement!
Qui se serait jamais doute d'une chose pareille?"
Et, tout a coup, le bonhomme part d'un immense eclat de rire. Eh bien!
non, ce n'est pas vrai. Voila longtemps qu'il connait l'affaire, qu'on
l'a mis au courant de tout...
Le pere au courant de tout! Bonne Maman les a donc trahis?... Et devant
les regards de reproche qui se tournent de son cote, la coupable
s'avance en souriant:
"Oui, mes amis, c'est moi... Le secret etait trop lourd. Je n'ai pu le
garder pour moi seule... Et puis, le pere est si bon... On ne peut rien
lui cacher."
En parlant ainsi, elle saute au cou du petit homme, mais la place est
assez grande pour deux, et quand mademoiselle Elise s'y refugie a son
tour, il y a encore une main tendue, affectueuse, paternelle, vers
celui que M. Joyeuse considere desormais comme son enfant. Etreintes
silencieuses, longs regards qui se croisent emus ou passionnes, minutes
bienheureuses qu'on voudrait retenir toujours par le bout fragile
de leurs ailes! On cause, on rit doucement en se rappelant certains
details. M. Joyeuse raconte que le secret lui a ete revele tout d'abord
par des esprits frappeurs, un jour qu'il etait seul chez Andre. "Comment
vont les affaires, monsieur Maranne?" demandaient les esprits, et
lui-meme a repondu en l'absence de Maranne: "Pas trop mal pour la
saison, messieurs les esprits." Il faut voir de quel air malicieux
le petit homme repete: "Pas trop mal pour la saison...", tandis que
mademoiselle Elise, toute confuse a l'idee que c'est avec son pere
qu'elle correspondait ce jour-la, disparait sous ses boucles blondes...
Apres cette premiere emotion, les voix posees, on parle plus
serieusement. Il est certain que madame Joyeuse, nee de Saint-Amand,
n'aurait jamais consenti a ce mariage. Andre Maranne n'est pas riche,
noble encore moins; mais le vieux comptable n'a pas, heureusement, les
memes idees de grandeur que sa femme. Ils s'aiment, ils sont jeunes,
bien portants et honnetes, voila de belles dots constituees et qui ne
couteront pas lourd d'enregistrement chez le notaire. Le nouveau menage
s'installera a l'etage au-dessus. On gardera la photographie, a moins
que _Revolte_ ne fasse des recettes enormes. (O
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