n'y aurait point de mal a cela; c'est un fort brave
homme que M. Fouquet.
-- Ah!
-- Un grand politique.
Aramis fit un geste d'indifference.
-- Un tout-puissant ministre.
-- Je ne releve que du roi et du pape, dit Aramis.
-- Dame! ecoutez donc, dit d'Artagnan du ton le plus naif, je vous
dis cela, moi, parce que tout le monde ici jure par M. Fouquet. La
plaine est a M. Fouquet, les salines que j'ai achetees sont a
M. Fouquet, l'ile dans laquelle Porthos s'est fait topographe est
a M. Fouquet, la garnison est a M. Fouquet, les galeres sont a
M. Fouquet. J'avoue donc que rien ne m'eut surpris dans votre
infeodation, ou plutot dans celle de votre diocese, m. Fouquet.
C'est un autre maitre que le roi, voila tout, mais aussi puissant
qu'un roi.
-- Dieu merci! je ne suis infeode a personne; je n'appartiens a
personne et suis tout a moi, repondit Aramis, qui, pendant cette
conversation, suivait de l'oeil chaque geste de d'Artagnan, chaque
clin d'oeil de Porthos.
Mais d'Artagnan etait impassible et Porthos immobile; les coups
portes habilement etaient pares par un habile adversaire; aucun ne
toucha.
Neanmoins chacun sentait la fatigue d'une pareille lutte, et
l'annonce du souper fut bien recue par tout le monde. Le souper
changea le cours de la conversation. D'ailleurs, ils avaient
compris que, sur leurs gardes comme ils etaient chacun de son
cote, ni l'un ni l'autre n'en saurait davantage.
Porthos n'avait rien compris du tout. Il s'etait tenu immobile
parce qu'Aramis lui avait fait signe de ne pas bouger. Le souper
ne fut donc pour lui que le souper. Mais c'etait bien assez pour
Porthos. Le souper se passa donc a merveille.
D'Artagnan fut d'une gaiete eblouissante. Aramis se surpassa par
sa douce affabilite. Porthos mangea comme feu Pelops. On causa
guerre et finance, arts et amours. Aramis faisait l'etonne a
chaque mot de politique que risquait d'Artagnan. Celle longue
serie de surprises augmenta la defiance de d'Artagnan, comme
l'eternelle indifference de d'Artagnan provoquait la defiance
d'Aramis.
Enfin d'Artagnan laissa a dessein tomber le nom de Colbert. Il
avait reserve ce coup pour le dernier.
-- Qu'est-ce que Colbert? demanda l'eveque.
"oh! pour le coup, se dit d'Artagnan, c'est trop fort. Veillons,
mordioux! veillons."
Et il donna sur Colbert tous les renseignements qu'Aramis pouvait
desirer.
Le souper ou plutot la conversation se prolongea jusqu'a une heure
du matin entre d'Ar
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