que lui les lecons
qu'elle payait pour nous deux avec une egale liberalite, une egale
insouciance. Un beau jour, elle s'apercut que j'avais profite, et
que j'etais capable de me tirer d'affaire dans la vie. "Et mon fils?
dit-elle avec un sourire; il risque fort d'etre ignorant et paresseux,
n'est-ce pas?..." Puis elle ajouta naivement: "Voyez comme c'est
heureux, que ces deux enfants aient compris chacun sa position!" Elle
m'embrassa au front, et tout fut dit. Mon frere n'essuya aucun reproche
de sa part. Sans s'en douter, et grace a ses instincts debonnaires,
elle avait detruit entre nous tout levain d'emulation, et l'on concoit
qu'entre un fils legitime et un batard l'emulation eut pu se changer
fort aisement en aversion et en jalousie.
Je travaillai donc pour mon propre compte, et je pus me livrer sans
anxiete et sans amour-propre maladif au plaisir que je trouvais
naturellement a m'instruire. Entoure d'artistes et de gens du monde, mon
choix se fit tout aussi naturellement. Je me sentais artiste, et, si
j'eusse ete maltraite par ceux qui ne l'etaient pas, je me serais elance
dans la carriere avec une sorte d'aprete chagrine et hautaine. Il
n'en fut rien. Tous les amis de ma mere m'encourageaient de leur
bienveillance, et moi, ne me sentant blesse nulle part, j'entrai dans la
voie qui me parut la mienne avec le calme et la serenite d'une ame qui
prend librement possession de son domaine.
Je portai dans l'etude de la peinture toutes les facultes qui etaient
en moi, sans fievre, sans irritation, sans impatience. A vingt-cinq ans
seulement, je me sentis arrive au premier degre de developpement de ma
force, et je n'eus pas lieu de regretter mes tatonnements.
Ma mere n'etait plus; elle m'avait oublie dans son testament, mais
elle etait morte en me faisant ecrire un billet fort gracieux pour me
feliciter de mes premiers succes, et en donnant une signature a son
banquier pour payer les premieres dettes de mon frere. Elle avait fait
autant pour moi que pour lui, puisqu'elle nous avait mis tous les deux
a meme de devenir des hommes. J'etais arrive au but le premier; je ne
dependais plus que de mon courage et de mon intelligence. Mon frere
dependait de sa fortune et de ses habitudes; je n'eusse pas change son
sort contre le mien.
Depuis quelques annees, je ne voyais plus ma mere que rarement. Je lui
ecrivais a d'assez longs intervalles. Il m'en coutait de l'appeler,
conformement a ses prescriptions, _ma bonne protectr
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