'erreur est douce et
profonde? mais peur d'user mon ame, ma force morale, l'avenir de mon
talent, dans une lutte pleine d'angoisses et de mecomptes. Je pourrais
dire que j'avais peur enfin de n'etre pas completement dupe, et que je
me mefiais du retour de ma clairvoyance prete a m'echapper.
Un soir, nous allames ensemble au theatre. Il y avait plusieurs jours
que je ne l'avais vue. Elle avait ete malade; du moins sa porte avait
ete fermee, et ses traits etaient legerement alteres. Elle m'avait
envoye une place dans sa loge pour assister avec moi et un autre de ses
amis, espece de sigisbee insignifiant, au debut d'un jeune homme dans un
opera italien.
J'avais travaille avec beaucoup d'ardeur et avec une sorte de depit
fievreux durant la maladie feinte ou reelle de la duchesse. Je n'etais
pas sorti de mon atelier, je n'avais vu personne, je n'etais plus au
courant des nouvelles de la ville.
--Qui donc debute ce soir? lui demandai-je un instant avant l'ouverture.
--Quoi! vous ne le savez pas? me dit-elle avec un sourire caressant,
qui semblait me remercier de mon indifference a tout ce qui n'etait pas
elle.
Puis elle reprit d'un air d'indifference:
--C'est un tout jeune homme, mais dont on espere beaucoup. Il porte un
nom celebre au theatre; il s'appelle Celio Floriani.
--Est-il parent, demandai-je, de la celebre Lucrezia Floriani, qui est
morte il y a deux ou trois ans?
--Son propre fils, repondit la duchesse, un garcon de vingt-quatre ans,
beau comme sa mere et intelligent comme elle.
Je trouvai cet eloge trop complet; l'instinct jaloux se developpait en
moi; a mon gre la duchesse se hatait trop d'admirer les jeunes talents.
J'oubliai d'etre reconnaissant pour mon propre compte.
--Vous le connaissez? lui dis-je avec d'autant plus de calme que je me
sentais plus emu.
--Oui, je le connais un peu, repondit-elle en depliant son eventail; je
l'ai entendu deux fois depuis qu'il est ici.
Je ne repondis rien. Je fis faire un detour a la conversation, pour
obtenir, par surprise, l'aveu que je redoutais. Au bout de cinq minutes
de propos oiseux en apparence, j'appris que la duchesse avait entendu
chanter deux fois dans son salon le jeune Celio Floriani, pendant que la
porte m'etait fermee, car ce debutant n'etait arrive a Vienne que depuis
cinq jours.
Je renfermai ma colere, mais elle fut devinee, et la duchesse s'en tira
aussi bien que possible. Je n'etais pas encore assez _lie_ avec elle
pour avoir
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