y ai seme
des navets qui ne sont pas tres bien venus, tant la terre de ce champ
est dure et ingrate. Voici que je suis en train de faire ma recolte, a
grand'peine et a grand effort, mon doux seigneur, attendu que je suis
bien malade!
--Quand on est malade, on garde le lit, repartit Rabelais avec un
sentiment de defiance mele de commiseration. A-t-on vu jamais un malade
quitter sa couche, a la mi-nuit, pour s'en venir piocher la terre, au
clair de la lune?
--Helas! seigneur mon Dieu! s'ecria douloureusement le laboureur
nocturne: qu'est-ce qui nourrira ma pauvre femme et mes pauvres enfants,
si je ne travaille pas pour eux jusqu'a la mort?
--Tu as femme et enfants, dit Rabelais avec une profonde pitie, et tu es
pauvre? et tu es malade?
--Bien malade! bien pauvre! repliqua l'homme, qui n'avait pas meme la
force de se remettre sur pied. Oh! bien malade, mon venerable seigneur!
Aussi mieux vaudrait-il que je fusse deja mort.
--Quand on est malade et bien malade, dit Rabelais, on envoie querir le
medecin et l'on se soigne, pour guerir, s'il plait a Dieu. Or ca, mon
brave homme, quel est donc le mal qui te tourmente?
--Je n'ose pas l'avouer, mon tres venere seigneur! repondit en hesitant
le miserable, qui recommencait a trembler de tous ses membres. Ah! je
vous en conjure, ne le dites pas aux gens du pays! ils me chasseraient a
coups de fourche.... Je suis maudit du Dieu d'Israel et maudit de tous
les dieux, puisque j'ai la lepre.
--La lepre! repeta Rabelais, la lepre! C'est une grande maladie et
difficile a traiter. Nous y aviserons toutefois. Mon ami, ayez foi en
Dieu, n'importe lequel, celui des juifs ou celui des chretiens, et Dieu
vous guerira.
--A Dieu plaise, mon cher seigneur! murmura l'homme, qui etait parvenu a
se relever et qui ne songeait plus qu'a s'evader.
--Ecoute-moi et fais ce que je t'ordonne, dit Rabelais: tu vas quitter
ton travail et partir d'ici, sans tourner la tete, ni regarder derriere
toi, en laissant la ta pioche et le panier ou tu devais mettre les
navets; demain, au jour leve, tu reviendras ici et trouveras besogne
faite. Mais va-t'en de ce pas te recoucher et dormir, si tu peux, apres
avoir prie Dieu, en lui demandant humblement et pieusement qu'il daigne
te rendre la sante.
--Il y a cinq ans que je le prie, repliqua le pauvre homme avec
amertume, et le mal n'a fait qu'empirer, ce qui temoigne manifestement
que le Seigneur m'a maudit et ne veut pas me guerir.
--Ne blasph
|