moi social; j'ai vecu les
divers instants de cette conscience qui se forme. Et si vous voulez bien
me suivre, vous distinguerez qu'il n'y a aucune opposition entre les
diverses phases d'un developpement si facile, si logique, irresistible.
Ce n'est qu'une lumiere plus forte a mesure que le matin cede au midi.
On juge vite a Paris. On se fait une opinion sur une oeuvre d'apres
quelque formule qu'un homme d'esprit lance et que personne ne controle.
J'ai publie trois volumes sous ce titre: "Le culte du Moi", ou, comme je
disais encore: "La culture du Moi", et qui n'etaient au demeurant que
des petits traites d'individualisme. Je crois que M. Doumic m'epargnera
et s'epargnera volontiers des plaisanteries et des indignations sur
l'egoisme, sur la contemplation de soi-meme, dont j'ai ete encombre
pendant une dizaine d'annees. J'etais un fameux individualiste et j'en
disais, sans gene, les raisons. J'ai "applique a mes propres emotions la
dialectique morale enseignee par les grands religieux, par les Francois
de Sales et les Ignace de Loyola, et c'est toute la genese de l'_Homme
libre_" (Bourget); j'ai preche le developpement de la personnalite par
une certaine discipline de meditations et d'analyses. Mon sentiment
chaque jour plus profond de l'individu me contraignit de connaitre
comment la societe le supporte. Un Napoleon lui-meme, qu'est-ce donc,
sinon un groupe innombrable d'evenements et d'hommes? Et mon grand-pere,
soldat obscur de la Grande Armee, je sais bien qu'il est une partie
constitutive de Napoleon, empereur et roi. Ayant longuement creuse
l'idee du "Moi" avec la seule methode des poetes et des mystiques, par
l'observation interieure, je descendis parmi des sables sans resistance
jusqu'a trouver au fond et pour support la collectivite. Les etapes de
cet acheminement, je les ai franchies dans la solitude morale. Ici
l'ecole ne m'aida point. Je dois tout a cette logique superieure d'un
arbre cherchant la lumiere et cedant avec une sincerite parfaite a sa
necessite interieure. Donc, je le proclame: si je possede l'element le
plus intime et le plus noble de l'organisation sociale, a savoir le
sentiment vivant de l'interet general, c'est pour avoir constate que le
"Moi", soumis a l'analyse un peu serieusement, s'aneantit et ne laisse
que la societe dont il est l'ephemere produit. Voila deja qui nous rabat
l'orgueil individuel. Mais le "Moi" s'aneantit d'une maniere plus
terrifiante encore si nous distinguons notre au
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