sont definitivement passes. Le livre que M.
Seailles consacrait naguere a Ernest Renan temoigne assez de cette
espece de colere contre l'idole de la veille. Les representants les plus
attitres du pessimisme, de l'impressionnisme et de l'ironie ont abjure
leurs erreurs avec solennite. C'est M. Paul Bourget, de qui nous
enregistrons aujourd'hui la nette et significative profession de foi.
C'est M. Jules Lemaitre, si habile jadis a ces balancements d'une pensee
incertaine, et qui s'est ressaisi avec tant de vigueur et de courage.
C'est M. Barres, si empresse dans ses premiers livres a jeter le defi au
bon sens et qui, dans son dernier, s'occupait a relever tous les autels
qu'il avait brises."
M. Doumic me permettra de lui presenter ma protestation: je ne releve
aucun autel que j'aie brise et je n'abjure pas mes erreurs, car je ne
les connais point. Je crois qu'avec plus de recul, M. Doumic trouvera
dans mon oeuvre, non pas des contradictions, mais un developpement; je
crois qu'elle est vivifiee, sinon par la seche logique de l'ecole, du
moins par cette logique superieure d'un arbre cherchant la lumiere et
cedant a sa necessite interieure.
Je m'explique la-dessus, parce que M. Doumic n'est pas le seul a me
faire une reception d'enfant prodigue. D'autres me donnent des eloges
dont s'embarrasse mon indignite. Eh! messieurs, mes erreurs, il s'en
faut bien que je les "abjure", solennellement ou non: elles demeurent,
toujours fecondes, a la racine de toutes mes verites.
Si c'est mon illusion, elle est autorisee par tant de jeunes esprits qui
m'ont garde leur confiance, non parce que je les amusais (j'aime a
croire que je suis un ecrivain plutot ennuyeux qu'amusant; on est prie
d'aller rire ailleurs), mais parce que je les aidais a se connaitre!
Sans doute, mon petit monde cree par douze ans de propagande, par Simon,
par Berenice et par le chien velu, a ete decime par l'affaire Dreyfus.
Je garde un souvenir aux amis perdus, mais notre premiere entente
m'apparait comme un malentendu; nous n'etions pas de meme physiologie.
Seuls les purs, apres cette epreuve, sont demeures. C'est pour le mieux.
Ils reconnaissent que je n'ai jamais ecrit qu'un livre: _Un Homme
libre_, et qu'a vingt-quatre ans j'y indiquais tout ce que j'ai
developpe depuis, ne faisant dans _les Deracines_, dans _la Terre et les
Morts_, et dans cette _Vallee de la Moselle_ (ou j'ai peut-etre mis le
meilleur de moi-meme), que donner plus de complexite aux motifs
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