eposer la couronne tragique de laurier pour laquelle il
avait un faible[17]. Dans ce qu'on appelle les roles _a manteau _ou il
jouait, le seul Grandmesnil peut-etre l'a egale depuis. Mais dans le
tragique aussi, sa direction, si ce n'est son execution, etait parfaite.
La lutte qu'il soutint avec l'hotel de Bourgogne, et dont l'_Impromptu
de Versailles_ constate plus d'un detail piquant, n'est autre que
celle du debit vrai contre l'emphase declamatoire, de la nature contre
l'ecole. Mascarille, dans les _Precieuses_, se moque des comediens
ignorants qui recitent comme l'on parle; Moliere et sa troupe etaient de
ceux-ci. On croirait dans l'_Impromptu_ entendre les conseils de notre
Talma sur _Nicomede_. Comme Talma encore, Moliere etait grand et
somptueux en maniere de vivre, riche a trente mille livres de revenu,
qu'il depensait amplement en liberalites, en receptions, en bienfaits.
Son domestique ne se bornait pas a cette bonne Laforest, confidente
celebre de ses vers, et les gens de qualite, a qui il rendait volontiers
leurs regals, ne trouvaient nullement chez lui un menage bourgeois et a
la Corneille. Il habitait, dans la derniere partie de sa vie, une maison
de la rue de Richelieu, a la hauteur et en face de la rue Traversiere,
vers le n deg. 34 d'aujourd'hui.
[Note 17: Dans le tome Ier des _Hommes illustres_ de Perrault,
l'article _Moliere_ se termine par cet eloge: "Il a ramasse en lui seul
tous les talents necessaires a un comedien. Il a ete si excellent acteur
pour le comique, quoique tres-mediocre pour le serieux, qu'il n'a pu
etre imite que tres-imparfaitement par ceux qui ont joue son role apres
sa mort. Il a aussi entendu admirablement les habits des acteurs en
leur donnant leur veritable caractere, et il a eu encore le don de
leur distribuer si bien les personnages et de les instruire ensuite si
parfaitement qu'ils semblaient moins des acteurs de comedie que les
vraies personnes qu'ils representaient." ]
Moliere, arrive a l'age de quarante ans, au comble de son art, et, ce
semble, de la gloire, affectionne du roi, protege et recherche des
plus grands, mande frequemment par M. le Prince, allant chez M. de La
Rochefoucauld lire _les Femmes savantes_, et chez le vieux cardinal de
Retz lire _le Bourgeois Gentilhomme_, Moliere, independamment de ses
desaccords domestiques, etait-il, je ne dis pas heureux dans la vie,
mais satisfait de sa position selon le monde? on peut affirmer que
non. Eteignez, attenuez, de
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