as s'en faire un jeu."
Cette petite altercation, qui n'etait pas nouvelle entre Albert et sa
fiancee, mais qui n'avait jamais ete aussi vive de part et d'autre,
jeta, malgre tous les efforts qu'on fit pour en distraire Albert, de la
tristesse et de la contrainte sur le reste de la matinee. La chanoinesse
alla voir plusieurs fois sa malade, et la trouva toujours plus brulante et
plus accablee. Amelie, que l'inquietude d'Albert blessait comme une injure
personnelle, alla pleurer dans sa chambre. Le chapelain se prononca au
point de dire a la chanoinesse qu'il faudrait envoyer chercher un medecin
le soir, si la fievre ne cedait pas. Le comte Christian retint son fils
aupres de lui, pour le distraire d'une sollicitude qu'il ne comprenait pas
et qu'il croyait encore maladive. Mais en l'enchainant a ses cotes par
des paroles affectueuses, le bon vieillard ne sut pas trouver le moindre
sujet de conversation et d'epanchement avec cet esprit qu'il n'avait
jamais voulu sonder, dans la crainte d'etre vaincu et domine par une
raison superieure a la sienne en matiere de religion. Il est bien vrai
que le comte Christian appelait folie et revolte cette vive lumiere qui
percait au milieu des bizarreries d'Albert, et dont les faibles yeux d'un
rigide catholique n'eussent pu soutenir l'eclat; mais il se raidissait
contre la sympathie qui l'excitait a l'interroger serieusement. Chaque
fois qu'il avait essaye de redresser ses heresies, il avait ete reduit au
silence par des arguments pleins de droiture et de fermete. La nature ne
l'avait point fait eloquent. Il n'avait pas cette faconde animee qui
entretient la controverse, encore moins ce charlatanisme de discussion
qui, a defaut de logique, en impose par un air de science et des
fanfaronnades de certitude. Naif et modeste, il se laissait fermer la
bouche; il se reprochait de n'avoir pas mis a profit les annees de sa
jeunesse pour s'instruire de ces choses profondes qu'Albert lui opposait;
et, certain qu'il y avait dans les abimes de la science theologique des
tresors de verite, dont un plus habile et plus erudit que lui eut pu
ecraser l'heresie d'Albert, il se cramponnait a sa foi ebranlee, se
rejetant, pour se dispenser d'agir plus energiquement, sur son ignorance
et sa simplicite, qui enorgueillissaient trop le rebelle et lui faisaient
ainsi plus de mal que de bien.
Leur entretien, vingt fois interrompu par une sorte de crainte mutuelle,
et vingt fois repris avec effort de part et d'
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