euple en a retenu
quelques-uns, et Zdenko, qui est doue d'une memoire et d'un sentiment
musical extraordinaires, en sait par tradition un assez grand nombre que
j'ai recueillis et notes. Ils sont bien beaux, et vous aurez du plaisir a
les connaitre. Mais je ne pourrai vous les faire entendre que dans mon
ermitage. C'est la qu'est mon violon et toute ma musique. J'ai des
recueils manuscrits fort precieux des vieux auteurs catholiques et
protestants. Je gage que vous ne connaissez ni Josquin, dont Luther nous
a transmis plusieurs themes dans ses chorals, ni Claude le jeune, ni
Arcadelt, ni George Rhaw, ni Benoit Ducis, ni Jean de Weiss. Cette
curieuse exploration ne vous engagera-t-elle pas, chere Consuelo, a venir
revoir ma grotte, dont je suis exile depuis si longtemps, et visiter
mon eglise, que vous ne connaissez pas encore non plus?"
Cette proposition, tout en piquant la curiosite de la jeune artiste, fut
ecoutee en tremblant. Cette affreuse grotte lui rappelait des souvenirs
qu'elle ne pouvait se retracer sans frissonner, et l'idee d'y retourner
seule avec Albert, malgre toute la confiance qu'elle avait prise en lui,
lui causa une emotion penible dont il s'apercut bien vite.
"Vous avez de la repugnance pour ce pelerinage, que vous m'aviez pourtant
promis de renouveler; n'en parlons plus, dit-il. Fidele a mon serment, je
ne le ferai pas sans vous.
--Vous me rappelez le mien, Albert, reprit-elle; je le tiendrai des que
vous l'exigerez. Mais, mon cher docteur, vous devez songer que je n'ai pas
encore la force necessaire. Ne voudrez-vous donc pas auparavant me faire
voir cette musique curieuse, et entendre cet admirable artiste qui joue du
violon beaucoup mieux que je ne chante?
--Je ne sais pas si vous raillez, chere soeur; mais je sais bien que vous
ne m'entendrez pas ailleurs que dans ma grotte. C'est la que j'ai essaye
de faire parler selon mon coeur cet instrument dont j'ignorais le sens,
apres avoir eu pendant plusieurs annees un professeur brillant et frivole,
cherement paye par mon pere. C'est la que j'ai compris ce que c'est que la
musique, et quelle sacrilege derision une grande partie des hommes y a
substituee. Quant a moi, j'avoue qu'il me serait impossible de tirer un
son de mon violon, si je n'etais prosterne en esprit devant la Divinite.
Meme si je vous voyais froide a mes cotes, attentive seulement a la forme
des morceaux que je joue, et curieuse d'examiner le plus ou moins de
talent que je puis a
|