arde les
montagnes que vous regardez, et, quand ils vinrent ici pour la premiere
fois, ils demanderent peut-etre les noms des cimes et des vallees
a quelque pauvre diable comme moi, de meme que vous me le demandez
maintenant. Vous me direz qu'ils ont aussi regarde le meme soleil et la
meme lune que vous pouvez regarder a toute heure du jour et de la nuit.
C'est ce que je me suis dit souvent.
--Il y a cette difference entre eux et moi que je ne suis qu'un pauvre
diable comme vous.
--Eh! _chi lo sa?_ Il parait qu'il vient ici, tous les ans, des
personnes celebres qui aiment a voir Tusculum, et dont on m'a dit les
noms; mais je n'en ai pas retenu un seul. Dans mille ans d'ici, les
bergers de Tusculum les auront appris par la tradition et les diront
comme je vous dirais ceux de Galba, de Mamilius on de Sulpicius.
--Vous en concluez donc que les hommes celebres ne font pas tant d'effet
de pres que de loin?
--Toutes choses sont ainsi. Voyez, ce pays est assez beau; mais j'en
connais bien qui sont plus beaux, et ou personne ne va. Cependant on dit
qu'il vient ici des voyageurs du fond de l'Amerique, le plus eloigne de
tous les pays, si je ne me trompe, pour voir ces morceaux de marbre que
je retourne avec mon pied. Ils y ramassent des briques, des cassures de
verre et des mosaiques, et les emportent chez eux. On dit qu'il n'y a
pas un coin sur la terre ou quelqu'un ne conserve precieusement un petit
morceau de ce qui traine a terre dans la campagne de Rome. Vous voyez
donc bien que ce qui est ancien et lointain parait plus precieux que ce
qui est nouveau et proche.
--Vous dites vrai; mais la raison de cela?
Il haussa les epaules, et je vis qu'il allait, encore une fois, se tirer
d'affaire par l'eternel _chi lo sa_, si commode a la paresse italienne.
--_Chi lo sa_, lui dis-je bien vite, n'est pas une reponse qui convienne
a un homme de reflexion comme vous. Cherchez-en une meilleure, et,
quelle qu'elle soit, dites-la-moi.
--Eh bien! reprit-il, voila ce que je m'imagine: quand nous vivons, nous
vivons; c'est-a-dire que, grands ou petits, nous sommes sujets ans memes
besoins, et les grands ne peuvent pas se faire passer pour des dieux.
Quand ils n'y sont plus depuis longtemps, on s'imagine qu'ils etaient
faits autrement que les autres; mais, moi, je ne m'imagine pas cela, et
je dis qu'un vivant que personne ne connait est plus heureux qu'un mort
dont tout le monde parle.
--Vivre vous parait donc bien doux?
|