et qu'elle
delaissait pour demeurer aupres du docteur Pagello? Elle explique et
cherche a justifier sa conduite dans une lettre a Jules Boucoiran, du 6
avril 1834[10]: "Alfred est parti pour Paris sans moi, et je vais rester
ici quelques mois encore. Vous savez les motifs de cette separation. De
jour en jour elle devenait plus necessaire, et il lui eut ete impossible
de faire le voyage avec moi sans s'exposer a une rechute... La poitrine
encore delicate lui prescrivait une abstinence complete, mais ses nerfs,
toujours irrites, lui rendaient les privations insupportables. Il a fallu
mettre ordre a ces dangers et a ces souffrances et nous diviser aussitot
que possible. Il etait encore bien delicat pour entreprendre ce long
voyage, et je ne suis pas sans inquietude sur la maniere dont il le
supportera. Mais il lui etait plus nuisible de rester que de partir, et
chaque jour consacre a attendre le retour de sa sante le retardait au lieu
de l'accelerer. Il est parti _enfin_ sous la garde d'un domestique tres
soigneux et tres devoue. Le medecin m'a repondu de sa poitrine en tant
qu'il la menagerait. Je ne suis pas bien tranquille, j'ai le coeur bien
dechire, mais j'ai fait ce que je devais. Nous nous sommes quittes
peut-etre pour quelques mois, peut-etre pour toujours. Dieu sait
maintenant ce que deviendront ma tete et mon coeur. Je me sens de la force
pour vivre, pour travailler, pour souffrir. La maniere dont je me suis
separee d'Alfred m'en a donne beaucoup. Il m'a ete doux de voir cet homme,
si athee en amour, si incapable (a ce qu'il m'a semble d'abord) de
s'attacher a moi serieusement, devenir bon, affectueux et plus loyal de
jour en jour. Si j'ai quelquefois souffert de la difference de nos
caracteres et surtout de nos ages, j'ai eu encore plus souvent lieu de
m'applaudir des autres rapports qui nous attachaient l'un a l'autre. Il y
a en lui un fonds de tendresse, de bonte et de sincerite qui doivent le
rendre adorable a tous ceux qui le connaitront bien et qui ne le jugeront
pas sur des actions legeres. S'il conservera de l'amour pour moi, j'en
doute, et je n'en doute pas. C'est-a-dire que ses sens et son caractere le
porteront a se distraire avec d'autres femmes, mais son coeur me sera
fidele, je le sais, car personne ne le comprendra mieux que moi et ne
saura mieux s'en faire entendre. Je doute que nous redevenions amants.
Nous ne nous sommes rien promis l'un a l'autre sous ce rapport, mais nous
nous aimerons toujours
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