ourd grognement de l'ivrogne qui
luttait avec une borne, dans un coin obscur. Tout ce qu'il y avait de
paisible ou de craintif s'etait prudemment renferme derriere une porte bien
close, et la vie politique ne battait plus qu'au coeur meme de la cite,
dans une des salles basses de l'ancien eveche. C'etait la que se donnaient
rendez-vous les plus purs et les plus ardents patriotes de la ville.
Barbare n'avait pas oublie la recommandation que lui avait faite le
president de la societe populaire. Pour rien au monde, il n'aurait voulu
manquer a l'engagement qu'il avait pris. D'ailleurs, il ne se sentait pas
dans une disposition d'esprit a rechercher la solitude. Dans les temps de
revolution, l'amour,--ce sentiment raffine qui trouve tant de charmes a se
replier sur lui-meme et qui met tant de complaisance a caresser meme la
pensee d'un revers,--l'amour semble se ressentir de la fievre des passions
politiques. Il fuit la reverie, il marche, il court vers le but et, s'il
eprouve un echec, il demande a la vie publique un instant d'oubli et de
distraction. Aussi, Barbare se dirigea-t-il en toute hate vers l'ancien
eveche.
Son entree dans la salle du club fut un vrai triomphe.
--Vive Barbare! cria la foule.
--Ah! fit le jeune homme en promenant autour de lui un regard ironique, il
parait qu'on n'a plus envie de me hisser a la lanterne. Le moment serait
pourtant mieux choisi que tantot. Car vous etes bien mal eclaires!
Un eclat de rire general accueillit cette saillie, et chacun montra en
plaisantant a son voisin les deux chandelles qui fumaient tristement au
pied de l'estrade ou montaient les orateurs.
--Citoyen Barbare, repondit une voix energique, si la Republique n'a pas le
moyen de se payer des flambeaux, elle compte sur la bonne volonte des
patriotes. Nos fils, qui sont a la frontiere, n'ont pas de souliers pour
marcher a l'ennemi; nous n'avons pas le droit d'etre difficiles, et nous
saurons defendre les interets de la patrie avec les seules lumieres de
notre raison.
--Bien repondu! dit la foule.
Le jeune homme tressaillit; car il venait de reconnaitre la voix de l'homme
auquel il devait la vie. Il fendit les rangs serres des auditeurs et
s'approcha respectueusement du magistrat populaire.
--Citoyen president, dit-il, je n'ai pas eu l'intention d'offenser la
majeste de la Republique. J'ai deja verse mon sang pour elle et je suis
pret a lui donner une nouvelle preuve de mon devouement. Je demande la
parole.
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