u de Touaregs au milieu d'un peuple civilise,
il etait oblige d'implorer du regard quelque huissier de service, au
fait de ces sauvetages et qui venait tout affaire lui dire "qu'on
l'appelait tout de suite au huitieme bureau." Si bien que gene partout,
chasse des couloirs, des Pas-Perdus, de la buvette, le pauvre Nabab
avait pris le parti de ne plus quitter son banc ou il se tenait immobile
et muet toute la duree de la seance.
Il avait pourtant un ami a la Chambre, un depute nouvellement elu dans
les Deux-Sevres, qu'on appelait M. Sarigue, pauvre homme assez semblable
a l'animal inoffensif et disgracie dont il portait le nom, avec son
poil roux et grele, ses yeux peureux, sa demarche sautillante dans ses
guetres blanches. Timide a ne pas dire deux paroles sans bredouiller,
presque aphone, roulant sans cesse des boules de gomme dans sa bouche,
ce qui achevait d'empater son discours; on se demandait ce qu'un infirme
pareil etait venu faire a l'Assemblee, quelle ambition feminine en
delire avait pousse vers les emplois publics cet etre inapte a n'importe
quelle fonction privee.
Par une ironie amusante du sort, Jansoulet, agite lui-meme de toutes les
inquietudes de sa validation, etait choisi dans le huitieme bureau
pour faire le rapport sur l'election des Deux-Sevres, et M. Sarigue,
conscient de son incapacite, plein d'une peur horrible d'etre renvoye
honteusement dans ses foyers, rodait humble et suppliant autour de ce
grand gaillard tout crepu dont les omoplates larges sous une mince et
fine redingote se mouvaient en soufflets de forge, sans se douter qu'un
pauvre etre anxieux comme lui se cachait sous cette enveloppe solide.
En travaillant au rapport de l'election des Deux-Sevres, en depouillant
les protestations nombreuses, les accusations de manoeuvre electorale,
repas donnes, argent repandu, barriques de vin mises en perce a la porte
des mairies, le train habituel d'une election de ce temps-la, Jansoulet
fremissait pour son propre compte. "Mais j'ai fait tout ca, moi..." se
disait-il, terrifie. Ah! M. Sarigue pouvait etre tranquille, jamais il
n'aurait mis la main sur un rapporteur mieux intentionne, plus indulgent
aussi, car le Nabab, prenant en pitie son patient, sachant par
experience combien cette angoisse d'attente est penible, avait hate la
besogne, et l'enorme portefeuille qu'il portait sous le bras, en sortant
de l'hotel de Mora, contenait son rapport pret a etre lu au bureau.
Que ce fut ce premier ess
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