lleure patronne. Pauvre madame Favoral! elle en a vu de
grises avec son maniaque de mari. Mais elle n'est plus jeune et on
s'accoutume a tout. Les jours ou le temps est beau, je la vois passer
avec Mlle Gilberte. Elles vont faire un tour de promenade a la place
Royale. C'est leur distraction...
Le domestique ricanait.
--Matin! fit-il. Si le bourgeois ne leur en paye pas d'autres, il ne
se ruinera pas!
--Il ne leur en paye pas d'autres, poursuivit le boutiquier.
C'est-a-dire, pardon, tous les samedis, et cela depuis des annees,
M. et Mme Favoral recoivent quelques-uns de leurs amis: M. et Mme
Desclavettes, qui etaient marchands de bronzes, rue Turenne; M.
Chapelain, l'ancien avoue de la rue Saint-Antoine, dont la fille est
la grande amie de Mlle Gilberte; M. Desormeaux qui est chef de bureau
au ministere de la justice, et trois ou quatre autres encore, et comme
precisement c'est aujourd'hui samedi...
Mais il s'interrompit et tendant le bras vers la rue:
--Vite, reprit-il, regardez! Quand on parle du loup... Il est cinq
heures vingt, voila M. Favoral qui rentre...
C'etait en effet le caissier du _Comptoir de credit mutuel_, et
veritablement tel que l'avait depeint le marchand de vins. Et a le
voir marcher, la tete baissee, on eut dit qu'il cherchait sur le
trottoir la place ou il avait mis le pied le matin pour l'y remettre
le soir. Toujours du meme pas methodique, il gagna sa maison, gravit
ses deux etages et tirant son passe-partout, il entra chez lui.
C'etait bien le logis de l'homme, et tout, des l'antichambre, y
denoncait la manie. La evidemment, chaque meuble devait avoir sa place
invariable, chaque objet irrevocablement sa tablette ou son clou.
Triste logis, d'ailleurs, accusant non pas la pauvrete precisement,
mais de mediocres ressources et les artifices d'une economie qui
se respecte. La proprete y atteignait les splendeurs du luxe, tout
reluisait, mais il n'etait pas un detail qui ne trahit la main
industrieuse de la menagere s'obstinant a defendre son mobilier contre
les ravages du temps. Le velours des fauteuils avait aux angles des
reprises qu'on etait tente d'attribuer a l'aiguille d'une fee. On
distinguait des points de laine neuve dans les dessins fanes des
devants de foyer. Les rideaux avaient ete retournes pour offrir
toujours aux regards la portion la moins fletrie.
Tous les hotes enumeres par le marchand de vins, et deux ou trois
autres encore se trouvaient au salon lorsque M. Favo
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