racontait qu'il
etait envoye par une cousine a lui, excellente cuisiniere, laquelle,
avant d'entrer en place chez des bourgeois du quartier, tenait comme
de juste a prendre ses renseignements. Et cela dit:
--Connaissez-vous, interrogeait-il, M. Vincent Favoral?
Concierges et boutiquiers ne connaissaient que lui, car il y avait
plus d'un quart de siecle qu'au lendemain de son mariage, M. Vincent
Favoral etait venu s'installer rue Saint-Gilles, et ses deux enfants y
etaient nes: son fils, M. Maxence, et sa fille, Mlle Gilberte.
Il occupait le second etage de la maison qui porte le numero 38, une
de ces bonnes vieilles maisons comme on n'en batit plus, depuis que
les terrains se vendent quinze cents francs le metre, ou l'espace
n'est pas sordidement mesure, ou les escaliers a rampe de fer forge
sont larges et faciles, ou les pieces sont spacieuses, et les plafonds
hauts de douze pieds.
--Certes, nous connaissons M. Favoral, repondaient les gens que
questionnait le domestique, et si jamais honnete homme a existe, c'est
certainement lui. En voila un auquel on aurait du plaisir a confier
ses fonds, si on en avait. Ce n'est pas lui qui jamais filera en
Belgique en emportant sa caisse.
Et ils expliquaient que M. Favoral etait caissier principal et meme
probablement un des gros actionnaires du _Comptoir de credit mutuel_,
une de ces admirables institutions financieres qui ont surgi avec le
second Empire et qui gagnaient a la Bourse leur premier banco le jour
ou se jouait dans la rue la partie du coup d'Etat.
--Oh! je sais la profession du bourgeois, disait le domestique. Mais
quel espece d'homme est-ce? Voila ce que ma cousine voudrait savoir.
Le marchand de vins du 43, le plus ancien boutiquier de la rue, etait
mieux que personne a meme de repondre. Deux petits verres civilement
offerts lui delierent la langue, et tout en trinquant:
--M. Vincent Favoral, commenca-t-il, est un homme de cinquante-deux ou
trois ans, mais qui parait plus jeune, car il n'a pas un poil blanc.
C'est un grand maigre, avec des favoris bien tailles, la bouche pincee
et des petits yeux jaunes. Pas causeur. Il faut plus de ceremonies
pour tirer une parole de son gosier qu'un ecu de sa caisse. Oui, non,
bonjour, bonsoir, voila toute sa conversation. Ete comme hiver, il
porte un pantalon gris, une longue redingote, des souliers laces et
des gants de filoselle. Parole d'honneur, je dirais qu'il a sur le dos
les habits que je lui ai vus pour l
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