es enfants, apres l'avoir lu,
ne regardaient plus qu'avec chagrin le paravent bleu et les costumes de
papier decoupe qui avaient fait leurs delices. Mais a quelque chose sert
toujours l'exageration de la fantaisie, car ils firent eux-memes un
theatre aussi grand que le permettait l'exiguite du local, et arriverent
a y jouer des pieces qu'ils firent, eux-memes aussi, les annees
suivantes.
Qu'elles fussent bonnes ou mauvaises, la n'est point la question
interessante pour les autres: mais ne firent-ils pas mieux de s'amuser
et de s'exercer ainsi, que de courir cette boheme du monde reel, qui se
trouve a tous les etages de la societe?
C'est ainsi que la fantaisie, le roman, l'oeuvre de l'imagination, en un
mot, a son effet detourne, mais certain, sur l'emploi de la vie. Effet
souvent funeste, disent les rigoristes de mauvaise foi ou de mauvaise
humeur. Je le nie. La fiction commence par transformer la realite; mais
elle est transformee a son tour et fait entrer un peu d'ideal, non pas
seulement dans les petits faits, mais dans les grands sentiments de la
vie reelle.
GEORGE SAND.
NOHANT 17 janvier 1853
A M. W.-G. MACREADY.
Ce petit ouvrage essayant de remuer quelques idees sur l'art dramatique,
je le mets sous la protection d'un grand nom et d'une honorable amitie.
GEORGE SAND.
Nohant, 30 avril 1847.
I.
LA JEUNE MERE.
Avant d'arriver a l'epoque de ma vie qui fait le sujet de ce recit, je
dois dire en trois mots qui je suis.
Je suis le fils d'un pauvre tenor italien et d'une belle dame francaise.
Mon pere se nommait Tealdo Soavi; je ne nommerai point ma mere. Je ne
fus jamais avoue par elle, ce qui ne l'empecha point d'etre bonne et
genereuse pour moi. Je dirai seulement que je fus eleve dans la maison
de la marquise de..., a Turin et a Paris, sous un nom de fantaisie.
La marquise aimait les artistes sans aimer les arts. Elle n'y entendait
rien et prenait un egal plaisir a entendre une valse de Strauss et une
fugue de Bach. En peinture, elle avait un faible pour les etoffes vert
et or, et elle ne pouvait souffrir une toile mal encadree. Legere et
charmante, elle dansait a quarante ans comme une sylphide et fumait des
cigarettes de contrebande avec une grace que je n'ai vue qu'a elle. Elle
n'avait aucun remords d'avoir cede a quelques entrainements de jeunesse
et ne s'en cachait point trop, mais elle eut trouve de mauvais gout de
les afficher. Elle eut de son mari un fils que je ne nommai
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