i m'avez blamee avec tant d'amertume quand j'exposais
ma reputation aux doutes des indifferents par une conduite trop
independante, comment etes-vous assez irreflechi ou assez egoiste pour
exposer aujourd'hui Fernande aux soupcons de son mari? Heureusement il
n'en a point ete ainsi, et Jacques ne s'est apercu de rien; mais j'ai
decouvert les enfantillages de votre conduite. Tout autre que moi aurait
juge sur les apparences; heureusement je vous sais honnete homme, et je
connais la saintete du coeur de Fernande. Mais que doivent penser les
domestiques et les paysans que vous mettez dans la confidence de vos
rendez-vous puerils? L'homme chez qui vous demeurez et la femme de
chambre qui accompagne Fernande aux Quatre-Sentiers, croyez-vous qu'ils
jugent vos entretiens innocents et qu'ils gardent bien scrupuleusement
le secret? Tous ces mysteres sont d'ailleurs inutiles: que ne
m'ecriviez-vous directement? ou, si vous pensiez avoir besoin d'un
avocat, que ne vous adressiez-vous a Jacques, qui a pour vous de
l'amitie, et qui a sur mon esprit bien plus d'influence que Fernande? Je
ne concois pas cette niaiserie de n'oser pas vous presenter vous-meme;
il faut promptement terminer et reparer vos imprudences. Habillez-vous
comme tout le monde demain, et venez diner avec nous. Jacques vous
invitera a passer quelque temps au chateau; vous devez accepter. Mais,
ecoutez, Octave.
Je n'ai point d'amour pour vous; j'ai cru en avoir autrefois, peut-etre
meme en ai-je eu. Depuis longtemps je ne sens plus que de l'amitie dans
mon coeur; n'en soyez pas blesse, et croyez que ce que je vous ai dit
est tres-reel et tres-sincere. Je n'ai d'amour pour aucun autre et je
ne crois pas en avoir jamais. Cessez d'attribuer a un caprice ou a une
tristesse passagere la resolution que j'ai prise de ne plus etre votre
maitresse. Les embrassements de l'amour ne sont beaux qu'entre deux
etres qui le ressentent; c'est profaner l'amitie que de les lui imposer.
Quels plaisirs purs pourriez-vous gouter dans mes bras desormais,
sachant que je ne vous y recois que par devouement? Cessez donc d'y
songer, et soyons freres. Je ne vous retire qu'un plaisir devenu
sterile; ce n'est pas moi, c'est vous qui avez detruit ce que vous
m'inspiriez d'enthousiasme et de passion. Mais ne revenons pas sur
d'inutiles reproches; ce n'est pas votre faute si je me suis trompee.
Je puis vous dire que l'amitie et l'estime ont survecu dans mon ame a
l'amour, et que rarement une femme
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