la crainte ou de la colere, quand je t'aurais avoue mes tourments, je
trouverais sur ton front cette impassible confiance, et sur tes levres
ce misericordieux sourire. Je croyais que tu t'arracherais de mes bras
avec effroi, et quand j'approcherais mes levres de ton visage pour
te donner, comme les autres jours, un fraternel baiser, que tu te
detournerais avec indignation. Mais ton innocence brave tous les perils
vulgaires et les surmonte tranquillement. Ah! je saurai m'elever jusqu'a
toi, et planer du meme vol au-dessus des orages des passions terrestres,
dans un ciel toujours radieux, toujours pur. Laisse-moi t'aimer, et
laisse-moi donner encore le nom d'amour a ce sentiment etrange et
sublime que j'eprouve; _amitie_ est un mot trop froid et trop vulgaire
pour une si ardente affection; la langue humaine n'a pas de nom pour la
baptiser. Mais n'appelle-t-on pas amour aussi l'amitie des meres
pour leurs enfants et l'enthousiasme de la foi religieuse? Ce que tu
m'inspires participe de tout cela, mais c'est quelque chose de plus
encore. Ah! sache qu'il faut bien t'aimer, Fernande, pour eprouver
ce calme qui est descendu en moi depuis six heures. Chose etrange et
delicieuse! en rentrant dans ma chambre, purifie par mes resolutions,
apaise par ton chaste embrassement, je me suis endormi du plus profond
et du plus bienfaisant sommeil que j'aie goute depuis trois mois, et je
viens de m'eveiller plus calme et plus joyeux que je ne l'ai ete de ma
vie. Oh! quel bien m'ont fait tes paroles! Ecris-moi, repete-moi tout
ce que tu m'as dit, afin que je le relise a genoux si quelque nuage de
melancolie vient encore a passer dans mon beau ciel, et que je retrouve
la pure lumiere, o etoile radieuse qui me conduis! Il me semble que je
vois le soleil pour la premiere fois, tant la nature m'apparait belle
et jeune ce matin! Je viens d'entendre le premier coup de la cloche qui
t'appelle au dejeuner, et j'ai tressailli comme a la voix d'un ami.
Quelle belle vie! comme nous sommes heureux! Comme je demeure pres de
toi, Fernande! le vent d'ouest m'apporte les bruits de ta maison et les
parfums de ton jardin. J'ai le temps de m'habiller et d'aller m'asseoir
a la meme table que toi, avant que Sylvia ait fini d'arranger
methodiquement ses livres et ses crayons dans le grand salon. Comment!
je vais revoir tout cela! tout cela que j'ai cru quitter pour toujours,
hier soir. Je vais encore rire et causer a cette table ou il est permis
de mettre les deux
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