es de la fenetre, et nous ne nous parlions plus
qu'avec les yeux; mais que de joie et de bien-etre nous avions tous dans
le coeur! Sylvia plaisantait un peu Octave sur ce grand appetit, qui
n'avait rien, disait-elle, du heros de roman. Il s'en vengeait en lui
baisant les mains, et de temps en temps il pressait la mienne; il me l'a
baisee aussi en se levant de table, et Jacques, s'approchant de nous,
lui a dit en m'embrassant: "Je vous remercie d'avoir de l'amitie pour
elle, Octave; c'est un ange, et vous l'avez devine." Le reste de la
journee s'est passe a courir et a faire de la musique. Le berceau de mes
enfants est toujours aupres de nous, que nous nous mettions au piano ou
que nous soyons assis dans le jardin. Octave a comble mes jumeaux de
caresses et de petits soins; il aime les enfants a la folie, et trouve
les miens charmants; il les endort au son du hautbois d'une maniere
magique, comme tu dis, et Jacques se plait beaucoup a voir operer le
magicien. Enfin, nous avons eu un jour bien beau et bien pur. Nous
allons avoir, j'espere, une vie un peu differente de celle que, dans
ta riante imagination, tu m'avais preparee. Je suis vraiment desolee
d'avoir a te contrarier, ma bonne Clemence, en te declarant que cette
fois ton grand savoir est en defaut, et que je ne suis pas encore
perdue. Je te remercie de l'arret irrevocable par lequel tu me condamnes
a l'etre avant peu; la prediction me parait charitable et l'expression
fort belle; mais je te demanderai la permission d'attendre encore
quelques jours avant de me laisser choir dans le precipice. Et toi,
Clemence, quand te maries-tu? Est-ce que tu ne t'ennuies pas un peu du
celibat? Es-tu toujours bien contente d'etre au couvent a vingt-cinq
ans? N'est-ce pas une bien belle chose d'etre veuve, independante et
sans amour? J'envie ton sort! Tu ne te _perdras_ pas; tu t'es mise
derriere la grille et sous les verrous pour etre plus sure de ton
bonheur et de ta vertu; tu sais qu'ainsi gardes ils ne s'echapperont
pas. Permets-moi d'aimer encore mon mari quelques annees avant d'entrer
dans cette auguste permanence. Adieu, ma belle; bien du plaisir! Je vais
tacher de prendre gout a ton sort, et de me detacher des affections
humaines, pour entrer dans l'impassibilite du neant intellectuel.
LIII.
D'OCTAVE A HERBERT.
Je ne sais pas trop ce qui se passe dans ma tete; je ne dors pas, j'ai
la fievre, je suis comme un homme qui commence a s'enamourer; mais de
qui serais-je
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