ur, et peut-etre a l'heure ou je t'ecris il est
deja parti. Il y avait sur sa figure quelque chose d'extraordinaire,
comme s'il eut pris une resolution penible mais ferme. Ce qui m'a fait
partir sur-le-champ moi-meme pour la ferme, c'est la grande alteration
que j'ai vue sur la figure de ma femme a l'heure du diner; jusque-la
j'etais convaincu qu'elle n'avait pas la plus legere idee de l'amour
d'Octave; depuis ce moment je ne sais que penser. Il est vrai qu'elle
est souffrante depuis quelque temps; le sevrage de ses enfants la
fatigue, et l'abondance de son lait l'incommode encore souvent. Je n'ai
pas voulu l'observer attentivement, cela me faisait peur; quoi qu'il put
s'etre passe entre eux, du moment qu'Octave avait le courage de partir,
je ne devais pas lui rendre plus amer le dernier jour peut-etre qu'il
avait a vivre aupres d'elle. Je suis sur maintenant de la raison et
de la prudence de Fernande; elle l'eloignera sans l'offenser et sans
irriter sa passion par d'inutiles demonstrations de force. J'ai vu
que je devais la laisser agir, et que ma confiance aveugle etait la
meilleure garantie possible de leur vertu.
Je n'ai aucune inquietude, mais je suis triste et profondement las de
moi. J'avais un ami sincere, aimable, devoue, et il faut qu'il parte
desespere parce que je suis au monde! Vous aviez une belle vie, intime,
riante et pure comme vos coeurs, et voila qu'elle est gatee, derangee,
empoisonnee, parce que je suis M. Jacques, le mari de Fernande! J'espere
si peu en moi et en mon avenir, que je voudrais plutot mourir et vous
laisser tous heureux, que de conserver mon bonheur au prix de celui de
l'un de vous. Mon bonheur! sera-t-il possible desormais, si Fernande a
dans le coeur un regret profond? Et comment ne l'aurait-elle pas! Voila
ce qui m'a consterne hier. Elle l'aime peut-etre... si cela est, elle
ne le sait pas encore elle-meme; mais l'absence et la douleur le lui
apprendront. Et pourquoi partirait-il, s'il faut qu'elle le pleure et
qu'elle me haisse?
Non, elle ne me haira pas, elle est si bonne et si douce! et moi je
serai bon et doux avec elle; mais elle sera malheureuse, malheureuse par
nos liens indissolubles... J'ai beaucoup pense a cela avant que nous
fussions maries, et depuis quelque temps j'y pense encore; je verrai. Ne
me parle pas, ne m'apprends rien sans que je t'interroge. Je crains que
la premiere fois tu ne m'aies beaucoup trop rassure sur leur amitie: ils
etaient purs alors, et ils le
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