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d'un naturaliste: il releva les bords de son grand chapeau, de maniere
a former tout a l'entour une espece de cuvette, dans laquelle il deposa
sur une jonchee d'herbes tous les vers luisants qu'il put recueillir, et
ces vers jetaient des eclairs intermittents qui l'environnaient
d'une aureole lumineuse. Il avait aussi ramasse a terre une grosse
chauve-souris, blessee par quelque oiseau de proie qui n'avait pas
reussi a l'emporter a moitie morte. Cette chauve-souris, qu'il voulait
conserver pour la dissequer et en etudier l'organisme anatomique, il eut
l'idee de l'attacher, sur le sommet de son chapeau, avec trois ou quatre
longues epingles qui lui avaient servi a relever sa robe sur ses genoux,
pour marcher plus librement, sans s'accrocher et se dechirer aux epines
des buissons de houx.
La lune etait dans son plein quand il sortit du bois et marcha quelque
temps a decouvert, dans un sentier peu frequente, qui traversait une
plaine aride, a peine cultivee sur quelques points, dans laquelle il
n'avait pas encore passe. Il aurait pu se croire egare, s'il n'avait pas
su s'orienter par la position des etoiles, et il reconnut qu'apres
avoir fait beaucoup de chemin, au hasard, dans la foret, il se trouvait
presque a son point de depart, c'est-a-dire peu eloigne de Meudon, et
qu'il ne tarderait pas a rencontrer la grande route qui etablissait une
communication directe entre ce village et le hameau de Velisy. Le bon
cure avait donc erre deux ou trois heures dans les bois, et il s'en
apercevait a sa fatigue; mais il n'avait plus guere qu'une demi-lieue a
faire, pour rentrer dans son presbytere.
L'idee lui vint que l'endroit de la foret ou il etait en ce moment ne
devait pas etre autre chose que le _Camp des Sorcieres_, cette plaine
deserte et mal famee, dont les gens du pays n'osaient point s'approcher,
surtout la nuit, parce qu'ils la regardaient comme hantee par les
sorciers et sorcieres, qui y venaient faire le sabbat. Mais Rabelais
n'avait pas l'esprit accessible a ces croyances superstitieuses, et il
continua de marcher en avant, sans doubler le pas et sans eprouver la
moindre frayeur. Il se rappela, toutefois, que c'etait dans ces parages
qu'un inconnu, qu'on nommait le Juif ou le Bohemien, avait pris
possession d'un coin de terre, pour y construire une pauvre cabane ou il
demeurait avec sa famille.
Rabelais donc poursuivait tranquillement son chemin, au clair de la
lune, et le sentier qu'il suivait le rapprocha
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