ait senti se degager tout a
coup quelque chose de violent, de malsain, en entendant apres sa
nuit d'amour ces sanglots d'amant trompe qui alternaient avec son
rire a elle et ses jurons de blanchisseuse.
Dans ce grand garcon, pousse loin de Paris, en pleine garrigue
provencale, il y avait un peu de la rudesse paternelle, et toutes
les delicatesses, toutes les nervosites de sa mere a laquelle il
ressemblait comme un portrait. Et pour le defendre contre les
entrainements du plaisir s'ajoutait encore l'exemple d'un frere de
son pere, dont les desordres, les folies avaient a demi ruine leur
famille et mis l'honneur du nom en peril.
L'oncle Cesaire! Rien qu'avec ces deux mots et le drame intime
qu'ils evoquaient, on pouvait exiger de Jean des sacrifices
autrement terribles que celui de cette amourette a laquelle il
n'avait jamais donne d'importance. Pourtant ce fut plus dur a
rompre qu'il ne se l'imaginait.
Formellement congediee, elle revint sans se decourager de ses
refus de la voir, de la porte fermee, des consignes inexorables.
"Je n'ai pas d'amour-propre..." lui ecrivait-elle. Elle guettait
l'heure de ses repas au restaurant, l'attendait devant le cafe ou
il lisait ses journaux. Et pas de larmes, ni de scenes. S'il etait
en compagnie, elle se contentait de le suivre, d'epier le moment
ou il restait seul.
"Veux-tu de moi, ce soir?... Non?... Alors ce sera pour une autre
fois." Et elle s'en allait avec la douceur resignee du forain qui
reboucle sa balle, lui laissant le remords de ses duretes et
l'humiliation du mensonge qu'il balbutiait a chaque rencontre.
"L'examen tout proche... le temps qui manquait... Apres, plus
tard, si ca la tenait encore..." De fait, il comptait, sitot recu,
prendre un mois de vacances dans le Midi et qu'elle l'oublierait
pendant ce temps-la.
Malheureusement, l'examen passe, Jean tomba malade. Une angine,
gagnee dans un couloir de ministere, et qui, negligee, s'envenima.
Il ne connaissait personne a Paris, a part quelques etudiants de
sa province, que son exigeante liaison avait eloignes et
disperses. D'ailleurs il fallait ici plus qu'un devouement
ordinaire, et des le premier soir ce fut Fanny Legrand qui
s'installa pres de son lit, ne le quittant de dix jours, le
soignant sans fatigue, sans peur ni degout, adroite comme une
soeur de garde, avec des calineries tendres, qui parfois, aux
heures de fievre, le reportaient a une grosse maladie d'enfance,
lui faisaient appeler sa tante Di
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