nages. Le matin, vers
dix heures, la forte voix d'Hettema criait devant la porte: "Y
etes-vous, Gaussin?" Et leurs bureaux se trouvant du meme cote,
ils faisaient route ensemble. Bien lourd, bien vulgaire, de
quelques degres sociaux plus bas que son jeune compagnon, le
dessinateur parlait peu, bredouillait comme s'il avait eu autant
de barbe dans la bouche que sur les joues; mais on le sentait
brave homme, et le desarroi moral de Jean avait besoin de ce
contact-la. Il y tenait surtout a cause de sa maitresse vivant
dans une solitude peuplee de souvenirs et de regrets plus
dangereux peut-etre que les relations auxquelles elle avait
volontairement renonce, et qui trouvait dans madame Hettema, sans
cesse preoccupee de son homme, et de la surprise gourmande qu'elle
lui ferait pour diner, et de la romance nouvelle qu'elle lui
chanterait au dessert, une relation honnete et saine.
Pourtant, quand l'amitie se resserra jusqu'a des invitations
reciproques, un scrupule lui vint. Ces gens devaient les croire
maries, sa conscience se refusait au mensonge, et il chargea Fanny
de prevenir la voisine, pour qu'il n'y eut pas de malentendu. Cela
la fit beaucoup rire... Pauvre bebe! il n'y avait que lui pour des
naivetes pareilles...
-- Mais ils ne l'ont pas cru une minute que nous etions maries...
Et ce qu'ils s'en moquent!... Si tu savais ou il a ete prendre sa
femme... Tout ce que j'ai fait, moi, c'est de la Saint-Jean a
cote. Il ne l'a epousee que pour l'avoir a lui tout seul, et tu
vois que le passe ne le gene guere...
Il n'en revenait pas. Une ancienne, cette bonne mere aux yeux
clairs, au petit rire d'enfant sur des traits de chair tendre, aux
provincialismes trainards, et pour qui les romances n'etaient
jamais assez sentimentales, ni les mots trop distingues; et lui,
l'homme, si tranquille, si sur dans son bien-etre amoureux! Il le
regardait marcher a son cote, la pipe aux dents, avec de petits
souffles de beatitude, pendant que lui-meme songeait toujours, se
devorait de rage impuissante.
"Ca te passera, m'ami..." lui disait doucement Fanny aux heures ou
l'on se dit tout; et elle l'apaisait, tendre et charmante comme au
premier jour, mais avec quelque chose d'abandonne, que Jean ne
savait definir.
C'etait l'allure plus libre et la facon de s'exprimer, une
conscience de son pouvoir, des confidences bizarres et qu'il ne
lui demandait pas sur sa vie passee, ses debauches anciennes, ses
folies de curiosite. Elle ne se pr
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